Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/190

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Charles-Quint fût restauré. Mais le grand machinateur avait compté précisément sur l’énervement d’un peuple qui se croirait plus encore défié que menacé.

La responsabilité de l’Empire subsiste cependant toute entière. Même si tout d’abord une rafale d’aveugle colère avait soufflé sur le pays, n’était-ce pas le devoir du gouvernement de résister à cet affolement d’un jour et de ne pas engager l’avenir, sous le coup de la première émotion, par des actes irréparables ? Il est tragique et plaisant tout ensemble, devant la postérité, de voir l’Empire invoquer pour se défendre la toute-puissance de l’opinion déchaînée. À quoi donc lui servait-il d’être un régime d’autorité ? et quel titre de droit aura sa dictature si, après avoir avili les esprits sous le joug dans les temps calmes, elle ne peut pas les soustraire, dans les jours orageux et difficiles, aux pires conséquences de leur nervosité ? Voler à un pays sa souveraineté, sa liberté, parce qu’il en ferait un mauvais usage, élever au-dessus de tous un pouvoir fort qui préservera la nation des entraînements de la foule, des caprices de l’opinion, des tumultueuses décisions du forum, et livrer la patrie aux premières émotions du peuple en délire, quelle dérision ! et quel pitoyable salaire de vingt ans de servitude ! Tenir tout un peuple dans l’ergastule et abandonner soudain toute la maison à l’esclave, un jour qu’il est ivre et sous prétexte qu’il est ivre, c’est la plus terrible sentence que l’absolutisme puisse porter contre lui-même. César ! ton rôle est d’être le « sauveur » : c’est ton excuse, et si tu ne sauves pas ce peuple de lui-même, à quoi sers-tu ? Mais il n’est pas vrai que les avertissements aient manqué, dès le début, à la diplomatie impériale.

Parmi les journaux républicains, parmi les journaux vraiment libéraux, ceux-là même qui s’effrayaient le plus de la candidature Hohenzollern, conseillaient au gouvernement la prudence, la réflexion : Les Débats voulaient qu’avant de prendre parti on attendît la décision des Cortès qui, sans doute, hésiteraient à bouleverser l’Europe. Le Temps ramenait à de plus justes proportions le péril, d’abord démesurément enflé, et il déclarait qu’il était impossible d’entreprendre une guerre pour violenter la nation espagnole si celle-ci persistait. Il désavouait les paroles hautaines et provocatrices de M. de Gramont.

L’Avenir National, avec Alphonse Peyrat, avec Henri Brisson, constatait que la Prusse devenait d’autant plus audacieuse que la France était moins libre. Si le plébiscite n’avait pas confirmé le pouvoir césarien, si M. de Bismarck avait eu en face de lui un peuple maître de lui-même et résolu à être le représentant authentique de la Révolution, il ne le provoquerait pas. Il n’y a qu’une réponse à lui faire, c’est de créer en France la liberté.

Dans le Rappel, M. Lockroy s’empressait d’amortir la note excitée de François Hugo : « Jeter la perturbation dans les affaires, inquiéter la France entière, sonner de la trompette, battre le tambour, armer son fusil ; tout cela