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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/191

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avant d’être certain qu’il y a lieu d’armer son fusil, de battre du tambour et de sonner de la trompette ; cela est le comble de l’absurdité. « Ils sont fous », disait hier la Gazette de Cologne. » C’est M. Giraudeau qui souligne ces derniers mots, et il a voulu marquer sans doute combien il était scandaleux à un Français, dans une crise nationale, d’emprunter à un journal allemand les termes d’un jugement sur le gouvernement de la France. Mais M. Lockroy, en protestant même avec la Gazette de Cologne contre la hâte et l’affolement de M. de Gramont, agissait en bon Français.

Au Corps législatif même, et jusque dans l’orage d’acclamations patriotiques qui enveloppait M. de Gramont, la gauche républicaine avait, au moins par quelques bouches, jeté le cri d’alarme ; à peine le ministre descendait-il de la tribune : « C’est donc la guerre que vous voulez ? » lui cria M. Crémieux, soutenu de M. Arago. M. Émile Ollivier, comme s’il avait la révélation soudaine de l’abîme où il marchait, répondit à M. Crémieux. Mais que venait donc faire en ce cruel débat ce fantôme d’une politique morte ? Et par quelle illusion cette ombre égarée hors du tombeau se croyait-elle encore vivante ? Elle s’attardait à l’aurore des jours tragiques, comme si la lumière de la réalité et de la vie était faite encore pour elle. Donc, M. Émile Ollivier prononça ces mots : « Le gouvernement désire la paix, il la désire avec passion, avec passion mais avec honneur. Je supplie les membres de cette assemblée, je supplie la nation de croire qu’elle n’assiste pas aux préparatifs déguisés d’une action vers laquelle nous marchons par des sentiers couverts. Nous disons notre pensée tout entière ; nous ne voulons pas la guerre, nous ne sommes préoccupés que de notre dignité… Si donc, nous croyons un jour la guerre inévitable, nous ne l’engagerons qu’après avoir demandé et obtenu votre concours. »

Comme si on ne pouvait rendre la guerre inévitable qu’en la déclarant officiellement ! M. Thiers, survenant un peu tard à la séance, s’écria : « C’est une folie ! » Oui, mais qu’avait préparée la virulente campagne du sage contre l’unité allemande. M. Émile Ollivier s’étonna lui-même et s’inquiéta du déchaînement provoqué par les paroles de M. de Gramont.

« Sire, écrivit-il à Napoléon, la déclaration a été reçue à la Chambre avec émotion et immense applaudissement. La gauche elle-même, à l’exception d’un très petit nombre, a déclaré qu’elle soutiendrait le gouvernement. Le mouvement du premier moment a même dépassé le but. On eût dit que c’était une déclaration de guerre. J’ai profité d’une déclaration de Crémieux pour rétablir la situation. Je n’ai pas accepté qu’on nous représentât comme préméditant la guerre. Nous ne voulons que la paix avec honneur. Dans le public, l’émotion aussi est grande, mais cette émotion est noble, patriotique. Il y a du cœur dans ce peuple. »

M. Émile Ollivier pensait-il donc que le ton du discours de M. de Gramont était étranger au sentiment de la Chambre et de l’opinion ? Pensait-il qu’il était