Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/197

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termes. Pour expliquer par quelle raison il porta la question non à Madrid, mais à Berlin, il s’autorise d’une suggestion du maréchal Prim lui-même : « Comment sortir de là ? disait celui-ci à notre ambassadeur, je ne vois qu’un moyen : que le prince me dise qu’il rencontre des obstacles au consentement du roi, et alors, au lieu d’insister, je lui facilite sa retraite. » Et M. de Gramont ajoute :

« C’était précisément ce moyen que nous allions chercher à Ems, n’ayant pu le trouver à Berlin. » Qu’est-ce à dire, sinon que l’essentiel était d’obtenir le désistement du prince ? M. de Gramont est obligé d’en convenir expressément : « J’avoue que le 8 juillet, à une heure du matin, au moment où le télégramme de Madrid venait de m’arriver, j’eus la pensée de faire intervenir le prince de Hohenzollern, et, dans mon désir d’éloigner un conflit dont je pressentais toute la gravité, je télégraphiai au comte Benedetti ces mots, en lui envoyant la dépêche de Madrid : « Dites-le au roi, et au besoin allez le dire au prince lui-même. » Ce n’est donc pas à cette minute, l’initiative du roi de Prusse qui était indispensable, puisque cette initiative des démarches auprès du prince, c’est le gouvernement de l’Empereur qui songeait à la prendre. M. de Gramont, il est vrai, revint sur cette décision : « J’avais tort. La candidature Hohenzollern n’avait pas été posée sans le concours du roi de Prusse, c’était une candidature prussienne et c’était comme telle que la France la repoussait. Posée par le roi, c’était au roi seul que devait s’adresser M. Benedetti. Je m’étais laissé entraîner par un désir bien naturel de ne négliger rien de ce qui pouvait faciliter une solution pacifique. Mais à peine ma dépêche fut-elle partie que j’en compris les inconvénients, et, après avoir pris les ordres de l’Empereur, j’expédiai le lendemain le télégramme suivant : « Il ne faut pas voir le prince de Hohenzollern, l’Empereur ne veut faire aucune démarche auprès de lui. »

Étranges minutes d’histoire où la pensée oscillante d’un homme médiocre et infatué porte toute la destinée d’un peuple ! Et qui sait quelles influences secrètes s’exercent en ce moment précis sur l’esprit de M. de Gramont ? Mais enfin, il avait consenti un instant à une intervention directe de la France auprès du prince Léopold, et quand il regretta cette défaillance passagère de son orgueil, il décida bien qu’aucune démarche ne serait faite auprès du prince : que M. Benedetti ne s’adresserait pas au roi de Prusse ; mais si celui-ci, pressé par nous, obtenait du prince Léopold qu’il se désistât, ce désistement ne nous suffirait-il point, même si le prince, ménageant l’amour-propre du roi par une fiction qui ne tromperait personne, paraissait prendre l’initiative du retrait ? M. Benedetti avait donc le droit d’interpréter en ce sens les instructions de son ministre, et pourtant il est vrai qu’il y a dans tous les propos, dans toutes les démarches de M. de Gramont, une arrière-pensée d’humilier la Prusse.

La solution ne vaudra pas pleinement pour lui si elle n’est pas tout à fait amère pour la Prusse. Ce n’est pas une négociation, c’est une revanche ; ce