Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/204

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À mesure cependant que croissait cette frénésie, la gauche accentuait sa résistance. Et il lui aurait été plus facile de combattre le mouvement si elle-même n’avait pas si longtemps dénoncé le péril de l’unité allemande, si, en elle aussi, un instinct de chauvinisme dominateur ne survivait pas. Trop souvent elle s’était plu à accuser l’Empire de faiblesse, et, il y a peu de jours, M. Jules Ferry jetait au Corps législatif comme une injure : « Majorité de Sadowa ! »

Pourtant, depuis quelques années déjà, les républicains, par un méritoire effort de pensée, s’étaient dégagés des préjugés funestes qui conduisaient fatalement à la guerre contre la Prusse : et plus les fanatiques d’absolutisme poussaient au conflit, plus la gauche affirmait la nécessité de la paix. Il est vrai que l’opposition républicaine n’arrive pas à une action concordante. Les mêmes journaux qui concluent à la paix donnent tort, au hasard des articles, ou à la France ou à la Prusse. Ce qui domine chez les radicaux, c’est la haine de l’Empire. Et, pour le blesser, pour l’humilier, ils n’hésitent pas à recommander la paix en termes qui en font une abdication et qui rendent par là plus difficile au gouvernement de la maintenir. Dans le journal de Delescluze, le Réveil, gronde un mélange terrible de chauvinisme et de révolution. Siebecker écrit : « Parions que le Hohenzollern est un beau matin installé en Espagne, sans plus de tambours ni de trompettes que son cousin n’en a employés pour prendre possession de la Roumanie. »

« Deux bien jolis succès : ça et le Saint-Gothard. »

« La Prusse à Forbach, la Prusse derrière le Rhin, à Kehl, la Prusse derrière les Alpes, la Prusse derrière les Pyrénées. Ceux qui aiment la Prusse peuvent se régaler ; on en a mis partout. »

« Les éclats de rire rouleront à droite, à gauche, au nord, au midi, à la frontière luxembourgeoise, derrière Wissembourg, sur le Rhin, sur les Alpes, sur les Pyrénées, partout. »

« Si c’est cela la revanche de Sadowa, eh bien, elle est complète ! »

« Ah ! nous le savons, vienne un revers, on fera appel à ce bon, à ce brave peuple, qui a toujours fait son devoir : on fera de belles proclamations. Mais le peuple se rappellera alors que vous l’avez canardé à Aubin, à La Ricamarie, cerné au Creusot, assommé sur les boulevards et dans les faubourgs ; et en ce moment même, vous essayez de l’écraser avec l’Internationale, et, dédaigneux, il vous répondra : « Je ne vous connais pas. »

« Le peuple, lui, n’a rien à craindre. »

« Le jour où il a la puissance entre les mains, il n’a pas plus besoin des finasseries diplomatiques que du déploiement des gros bataillons pour faire respecter la chose publique. »

« Il a fait voir aux fameux tacticiens de l’école de Frédéric comment, avec des soldats improvisés, on battait les armées régulières. »

« Mais, quand il trouve ces élans irrésistibles, ce n’est jamais pour sauver