Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que les termes en furent concertés avec M. Émile Ollivier. « Le garde des sceaux prit connaissance de la lettre de l’Empereur, et nous convînmes d’adresser au comte Benedetti un second télégramme plus explicite que le premier : Paris, 12 juillet, 11 heures 45 du soir : L’Empereur me charge de vous faire remarquer que nous ne saurions considérer la renonciation que nous a communiquée l’ambassadeur d’Espagne, et qui ne nous est pas adressée directement, comme une réponse suffisante aux justes demandes adressées par nous au roi de Prusse, encore moins saurions-nous y voir une garantie pour l’avenir.

« Afin que nous soyons sûrs que le fils ne désavouera pas son père ou qu’il n’arrivera pas en Espagne, comme son frère la fait en Roumanie, il est indispensable que le Roi veuille bien nous dire qu’il ne permettra pas au prince de revenir sur la renonciation communiquée par le prince Antoine.

« M. de Bismarck arrivant à Ems, veuillez rester jusqu’à ce que vous soyez appelé à Paris. Dites bien enfin au comte de Bismarck et au Roi que nous n’avons aucune arrière-pensée, que nous ne cherchons pas un prétexte de guerre, et que nous ne demandons qu’à sortir honorablement d’une difficulté que nous n’avons pas créée nous-mêmes. »

On ne voit pas bien en quoi cette seconde dépêche est plus explicite que la première. La première était catégorique. Elle exigeait et d’un ton pressant, une garantie pour l’avenir. M. de Gramont a-t-il tenu à souligner la responsabilité propre du garde des sceaux ? Le rôle de M. Émile Ollivier est lamentable. Il n’a pas été à Saint-Cloud, il n’a pas assisté au Conseil intime où le sort de la France, et la guerre, ont été décidés. La terrible dépêche a été expédiée sans lui : il paraît qu’il la trouva de forme imprudente et excessive. Ses amis assurent que c’est lui qui fit ajouter à la seconde les lignes de la fin sur la paix. Ô dérision ! Comme si ce petit tour de rhétorique in extremis supprimait le fond des choses ! Au reste, cette deuxième dépêche ne parvint même pas à M. Benedetti avant son entrevue avec le Roi.

Les destins s’accomplissaient. L’émotion de l’ambassadeur français fut violente quand il reçut à Ems, dans la nuit, la dépêche qui changeait brusquement les termes de la négociation et qui renversait, avec son œuvre, toute chance de paix. Voici comment, un peu plus tard, il résumait la situation, le soir du 13 : « La détermination (du prince Antoine) avait été notifiée directement à Madrid et nous était revenue par l’Espagne. Qu’avait-on en vue en procédant ainsi ? Évidemment dégager le Roi. Dès ce moment on pouvait prétendre que la renonciation du prince était un acte spontané de sa volonté personnelle. Le Roi devait le lendemain, et c’est ce qui eût lieu, me faire part lui-même de la résolution du prince et me déclarer qu’il y donnait son assentiment ; mais son gouvernement aurait été fondé à soutenir que le souverain était uniquement intervenu comme chef de famille pour approuver le désistement comme il avait approuvé l’acceptation. C’est ce que j’avais pressenti et annoncé, en signalant