Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/221

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’intention bien arrêtée du Roi de sortir de ce conflit sans compromission apparente pour sa personne. Nous avions, à la vérité, demande au Roi d’inviter le prince à renoncer à la couronne d’Espagne ; le Roi se bornait à donner son acquiescement à une décision que le prince avait, pouvait-on dire, prise de son propre mouvement. Devions-nous considérer comme insuffisante la satisfaction qui nous était accordée de la sorte ? Pour ma part, je ne l’ai pas pensé, et rien dans les dépêches qui m’étaient en ce moment adressées de Paris ne me faisait supposer que le gouvernement de l’Empereur en jugeât autrement. À mon sens, ce qu’il nous importait d’obtenir, c’était la renonciation du prince ratifiée par l’approbation du Roi et ce résultat nous étions assurés de l’atteindre. »

C’est donc avec une grande anxiété d’esprit et de cœur que M. Benedetti, dans la matinée du 15, chercha à voir le Roi. La ville d’Ems était tout animée de la vie matinale des villes d’eau. M. Benedetti rencontra, vers l’allée voisine du kiosque, un aide de camp qui l’aborda d’un air amical et joyeux : « Nous n’avons pas encore la dépêche du prince Antoine ; mais nous allons la recevoir d’un moment à l’autre, et déjà la Gazette de Cologne annonce son désistement ; vous devez être bien heureux. » — « Il faut, dit M. Renedetti, que je parle au Roi. »

Justement, celui-ci paraissait ; il aborda l’ambassadeur, et M. Benedetti lui transmit le second message. Le souverain, comme il était aisé de le prévoir, opposa un refus absolu. Il n’avait, disait-il, aucun dessein caché : cette affaire lui avait donné trop de souci pour qu’il fût tenté jamais de la rouvrir ; mais l’engagement absolu et éternel qu’on lui demandait, il ne pouvait pas le donner, il ne le donnerait pas. Il faisait effort pour garder un maintien amical ; mais M. Benedetti démêlait bien (ce que l’ineptie orgueilleuse du duc de Gramont et la vaniteuse faiblesse de M. Émile Ollivier ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir) que, déjà, le seul retrait de la candidature était pour le Roi une meurtrissure : il sentait bien que c’était pour lui un échec ; il ne voulait pas l’aggraver d’une humiliation.

Cependant l’ambassadeur, atténuant autant qu’il le pouvait le terrible mandat qu’il avait reçu, n’avait pas présenté cette demande de garanties sous forme d’ultimatum. La conversation n’était pas rompue. M. Benedetti était resté à l’hôtel ; mais il espérait que le Roi, quand il aurait reçu le document du prince Antoine, le ferait appeler de nouveau, qu’il pourrait insister encore. Mais c’est par un aide de camp que le Roi fit connaître à M. Benedetti l’arrivée du message du prince Antoine : « le Roi autorisait l’ambassadeur à faire savoir au gouvernement de l’Empereur qu’il approuvait cette résolution ». Le Roi marquait bien ainsi qu’il ne voulait pas aller au-delà, et il évitait, en envoyant l’aide de camp, l’occasion d’un nouvel entretien personnel avec M. Benedetti. Que s’était-il passé ? Le Roi venait de recevoir, à midi, le rapport de M. de Werther et le brouillon de la lettre d’excuses. Le parti-pris de l’humilier lui apparut et il ne voulut plus exposer sa dignité à de nouveaux risques.