Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/222

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En vain le ministre niais du quai d’Orsay, qui n’avait même pas informé M. Benedetti de sa conversation avec M. de Werther et de la fameuse note, insiste-t-il encore dans la soirée du 15. L’ambassadeur ayant demandé une nouvelle audience, le Roi la refusa, sans injures, sans brutalité, mais de façon péremptoire.

« Ems, le 15 juillet, 7 heures du soir. — À ma demande d’une nouvelle audience, le Roi me fait répondre qu’il ne saurait consentir à reprendre avec moi la discussion relative aux assurances qui devaient, à notre avis, nous être données pour l’avenir. Sa Majesté me fait déclarer qu’elle s’en réfère, à ce sujet, aux considérations qu’elle m’a exposées ce matin… Le Roi a consenti, m’a dit encore son envoyé au nom de Sa Majesté, à donner son approbation entière et sans réserve au désistement du prince de Hohenzollern : il ne peut faire davantage. J’attendrai vos ordres avant de quitter Ems. M. de Bismarck ne viendra pas ici. »

Il ne restait à M. Renedetti qu’à partir. Il quitta Ems le 16 au soir, le Roi qui le rencontra à la gare le salua courtoisement.

Pendant qu’à Ems le drame atteignait le point de crise, la journée à Paris était vide, ou plutôt elle n’était remplie que par les excitations détestables de la presse fanfaronne. Le matin avait eu lieu une séance du Conseil des ministres. Ils entendirent, avec quelque surprise et quelque émoi, la lecture des dépêches si graves envoyées la veille par le duc de Gramont. Ils s’étonnèrent qu’il eût pris une aussi redoutable initiative sans même les consulter ? Trois ou quatre d’entre eux, M. Louvet, M. Plichon, M. Segris, M. de Parieu, demandèrent même que l’on revint sur cette démarche imprudente et que l’on se contentât du retrait de la candidature si le roi de Prusse l’approuvait. La majorité approuva M. de Gramont : ou du moins le laissa faire. Quel fut le sens de l’intervention de M. Émile Ollivier ? L’approbation qu’il avait donnée la veille à la conversation de M. de Gramont avec M. de Werther et à la seconde dépêche du duc lui rendit sans doute difficile de soutenir les amis de la paix. L’Empereur garda le silence et demanda seulement qu’il fût procédé à un vote, comme s’il n’avait pas la veille collaboré avec le duc de Gramont et substitué sa volonté personnelle à celle des ministres. Tout cela n’était qu’une comédie triste, une contrefaçon lugubre du régime parlementaire. Cependant les ministres décidèrent qu’à la demande de garanties ne serait pas donné le caractère d’un ultimatum. Par là flottait encore un bout de fil auquel pourraient se renouer des chances de paix, mais si incertaines ! Qu’importait, en effet, de ne pas donner la forme d’un ultimatum à cette revendication si on la maintenait ? Serait-il plus facile, après un refus formel de la garantie demandée, de se contenter du retrait de la candidature ?

Et cependant, comme pour attester l’impuissance de certains esprits à regarder la réalité en face, le journal inspiré par M. Émile Ollivier, le Constitutionnel, disait ce même jour, sous la signature de M. Robert Mitchell :