Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/23

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c’est la force de l’armée de Metz. Elle seule pourra former la base d’un gouvernement nouveau et conservateur, rassurer le pays, écraser les agitateurs révolutionnaires. Or l’Allemagne a intérêt à pouvoir négocier les conditions de la paix avec un régime stable, solide et responsable. Elle aura donc besoin de l’armée de Metz pour faire en France cette grande besogne de police gouvernementale sans laquelle les Allemands ne peuvent cueillir le fruit de leurs victoires.

Si tel n’avait pas été le calcul de Bazaine, s’il n’avait pas cru pouvoir rendre ce service à l’Allemagne, on ne comprend pas comment il aurait pu espérer un effet utile des négociations qu’il engageait avec M. de Bismarck. N’ayant rien à lui offrir, qu’aurait-il pu en attendre ? Au reste, sa criminelle pensée éclate dans la note remise par lui au général Boyer qu’il envoie, le 12 octobre, à Versailles, au quartier général prussien : « La question militaire est jugée et Sa Majesté le roi de Prusse ne saurait attacher un grand prix au stérile triomphe qu’il obtiendrait en dissolvant la seule force qui puisse aujourd’hui maîtriser l’anarchie dans notre malheureux pays. Elle rétablirait l’ordre et donnerait à la Prusse une garantie des gages qu’elle pourrait avoir à réclamer. »

M. de Bismarck amusait le maréchal par ces négociations. Celui-ci renonçait peu à peu à tout effort militaire. Les provisions s’épuisaient et à la fin d’octobre il ne restait plus à l’armée infortunée qu’à se laisser tomber dans le triste abîme de la capitulation.

À Paris, hélas ! le général Trochu, conservateur bavard, chrétien sans élan, patriote sans foi, honnête homme sans vertu, paralysait par un doute accablant l’essor de la défense : il avait le dédain et la peur des foules dont il ne savait point, par la force d’une idée et d’une grande passion, faire un peuple.

Malgré tout, Paris ne voulait point se résigner à la défaite. Dès le 17 septembre l’investissement avait commencé. Des efforts insuffisants et incertains furent tentés pour le rompre, à Châtillon, à Villejuif, à Bagneux, à la Malmaison, mais aucun vaste mouvement d’ensemble ne fut essayé et le général Trochu prit prétexte des premiers échecs partiels pour amortir l’élan de Paris. Le peuple cependant supportait avec une résignation stoïque, le froid, la faim, les privations de tout ordre. Il espérait toujours qu’une armée de secours venant de la France prendrait à revers les lignes prussiennes.

Le Gouvernement de la Défense nationale était resté à Paris, mais il avait avant l’investissement envoyé à Tours une délégation de trois de ses membres pour organiser la résistance du pays. Le 9 octobre Gambetta quitta Paris en ballon et il devint à Tours le véritable chef, l’âme agissante et ardente de la défense. Nuit et jour il travailla pour recruter, appeler, armer des régiments nouveaux, pour communiquer au pays la fièvre d’action, de colère et d’espérance dont il était animé.

Ces efforts ne furent pas vains puisque l’Allemagne, qui un moment après Sedan avait cru la guerre finie et la France abattue, fit encore pendant