Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des mois l’épreuve de ce que peut un grand peuple affaibli par des désastres et anémié par une longue servitude mais qui a des réserves profondes d’honneur et de courage.

La délégation de Tours suscita des forces, appela aux armes tous les hommes valides et organisa tant bien que mal près de six cent mille hommes. Elle rassembla, acheta et fondit quatorze cent canons. Un souffle ardent passa sur la France à demi-glacée par les premiers revers. Trois armées furent improvisées : une armée de la Loire, une armée du Nord, une armée des Vosges. L’armée des Vosges devait inquiéter l’ennemi par la menace d’une diversion sur ses derrières. L’armée du Nord et l’armée de la Loire devaient tendre vers Paris, essayer de rompre la ligne d’investissement et donner la main au peuple parisien. C’est l’armée de la Loire qui fut prête à entrer la première en mouvement. Mais d’abord peu nombreuse, elle ne put défendre Orléans que les Prussiens occupèrent le 11 octobre. Aussi l’offensive vers Paris ne pouvait se dessiner encore vigoureusement. Pendant ce temps le peuple de la capitale, obstiné à la résistance et à l’espérance apprenait sans faiblir de sinistres nouvelles. C’est d’abord la prise de Strasbourg qui succombait le 26 septembre après un siège de quarante-six jours. Puis vers la fin d’octobre la nouvelle commence à se répandre que Metz aussi avait capitulé. Tout d’abord le gouvernement de la défense nationale, mal informé, démentit la lugubre nouvelle. Elle était exacte cependant. Bazaine, averti à la fin d’août de la marche de Mac-Mahon, avait tenté le 31 août et le 1er septembre un effort pour sortir de Metz avec son armée. Cet effort fut-il mené mollement ? Y eut-il incapacité ? Ou déjà le parti pris de rester à l’écart du drame et de se réserver pour le lendemain des catastrophes prévues conduisait-il le maréchal à la trahison ? L’impression presque unanime des officiers et des soldats fut qu’il n’osa combattre qu’à demi. Cette journée de Noisseville fut le dernier effort apparent. Dès ce jour Bazaine négocie secrètement avec le prince Frédéric-Charles : il espère que le prince ménagera son armée pour qu’elle devienne l’instrument de répression contre la « démagogie » parisienne et la garantie de la paix imposée par le vainqueur. Il est amusé par les négociations de l’ennemi jusqu’à l’heure où la résistance est devenue à peu près impossible et le 27 octobre il livre sa grande armée, infortunée et héroïque.

C’est M. Thiers qui apprit au Gouvernement de la Défense nationale à Paris ce terrible désastre de la patrie. M. Thiers venait de faire un voyage auprès des principaux gouvernements de l’Europe pour solliciter d’eux une intervention au profit de la France. Il n’avait obtenu que d’évasives paroles, et il rentrait convaincu que la France, privée de tous concours extérieurs, destituée de ses forces militaires organisées, n’avait plus qu’à négocier la paix. Il avait fait accepter de la délégation de Tours, malgré l’opposition de Gambetta, l’idée d’un armistice durant lequel une Assemblée serait convoquée, et cette Assemblée déciderait de la paix ou de la guerre. Au moment où M. Thiers