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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/237

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entendre, et que l’assemblée commit, dans l’examen des faits, les erreurs matérielles les plus stupéfiantes : ce fut comme une confusion énorme tombant dans un abîme. M. Émile Ollivier lut la déclaration par laquelle le gouvernement, en demandant les crédits, ouvrait la guerre. Il semblait, dans tout cet exposé, avoir oublié complètement que lui-même, le 12 juillet, à la vue de la dépêche espagnole, il avait annoncé que la paix était faite. Pourquoi des exigences nouvelles avaient-elles surgi ? Il n’y faisait pas la moindre allusion. Il se bornait à dire que la Prusse, non contente de repousser la sage demande de garanties qui lui avait été adressée, avait usé envers la France d’un procédé offensant : « Notre stupeur a été profonde lorsque, hier, nous avons appris que le roi de Prusse avait notifié par un aide de camp à notre ambassadeur qu’il ne le recevrait plus, et que, pour donner à ce refus un caractère non équivoque, son gouvernement l’avait communiqué officiellement aux cabinets de l’Europe. »

Il ajoutait, sans dire un mot de l’incident qui déterminait le rappel de M. de Werther : « Nous apprenions en même temps que M. le baron de Werther avait reçu l’ordre de prendre un congé et que des armements s’opéraient en Prusse. »

Tout espoir de conciliation était donc perdu ; il n’y avait plus qu’à armer.

Courageusement, l’opposition fit effort. Mais elle se débattait à peu près dans les ténèbres. Sur la marche même des négociations, sur les détails critiques, sur le sens vrai de la dépêche prussienne, elle ne savait presque rien, et elle était réduite à des conjectures. Ce sont les interventions de M. Thiers qui furent les plus pressantes, les plus directes ; celles qui, dans les ténèbres épaisses, allèrent le plus sûrement au vrai. Ni par son grand nom, ni par son chauvinisme même, il ne fut protégé contre les tumultes et contre les outrages. « À Berlin ! À Coblentz ! Vous êtes la trompette antipatriotique du désastre ! Nous n’avons pas de leçons à recevoir de vous ! » Il réussit pourtant, non seulement à dégager sa responsabilité et à sauver sa mémoire, mais à serrer de près le problème.

Il y avait dans ses paroles une partie dangereuse et détestable ; c’est celle où il rappelait sa politique générale à l’égard de l’Allemagne. Oui, il ne fallait pas tout céder à la Prusse ; oui, il était possible qu’un conflit avec elle fût un jour inévitable. C’est lorsqu’elle étendrait la main sur les États allemands du Sud. Oui, l’occasion s’offrirait et il faudrait la saisir de réparer les fautes passées, et, par là M. Thiers, au moment même où il s’efforçait de détourner la guerre immédiate, rendait inévitable la guerre prochaine. « Mais vous saisissez mal, s’écriait-il, l’occasion de la réparation que vous désirez et que je désire comme vous. » Ce n’est pas à propos d’un grand intérêt national que vous rompez : c’est pour une question de susceptibilité, et, dès lors, dans l’analyse, dans la divination des circonstances particulières de la crise, il fait preuve d’une merveilleuse rapidité d’esprit et d’une pénétration incomparable. Il ne s’attarde