Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/238

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pas à discuter sur les détails inconnus ou ambigus de la dernière manœuvre de M. de Bismarck ; mais il met en pleine lumière le point central du débat. Par le retrait de la candidature Hohenzollern, la France a eu la satisfaction essentielle. Il fallait s’y tenir. Il faut y revenir. Tout le reste n’est qu’intrigues, complications, chicanes, imprudences. Il fait relire par M. Émile Ollivier la phrase de la dépêche de M. Benedetti du 11 juillet, où l’ambassadeur déclare : « Le Roi a consenti, m’a dit son envoyé au nom de Sa Majesté, à donner son approbation entière et sans réserve au désistement du prince de Hohenzollern. »

L’incident était clos ; que si M. de Bismarck a profité de l’imprudence avec laquelle il a été rouvert pour user d’un procédé discutable, l’essentiel demeure. Le gouvernement avait ce qu’il demandait, et c’est lui qui a tout compromis, tout renversé. Il avait débuté par des fanfaronnades ; il termine par une folie. « Vous avez mal commencé et vous avez mal fini ; c’est à une faute du cabinet qu’est due la guerre ». M. de Gramont a bien senti que le coup portait au point le plus vulnérable, et il dit dans ses mémoires que le discours de M. Thiers fut, à proprement parler, la seule attaque sérieuse contre la politique du cabinet.

Cependant plusieurs députés, M. Jules Favre, M. Buffet, demandaient la communication des dépêches ; ils servaient sans le vouloir M. Émile Ollivier et le duc de Gramont. Jules Favre, très âpre, s’écrie qu’avec des dépêches on faisait ce qu’on voulait, paraissant indiquer par là ou que ces dépêches étaient supposées ou que les ministres en faussaient le sens. Mais, en ce point, il était facile à M. Émile Ollivier et au duc de Gramont de reprendre l’avantage, et M. Émile Ollivier précisa avec exactitude cette partie des faits. Il ne disait pas que le gouvernement français avait reçu une dépêche offensante. Il ne disait pas que l’ambassadeur français à Ems ait été l’objet d’un procédé injurieux ou discourtois. Il disait que le gouvernement prussien, en communiquant à toutes les puissances le refus du Roi de recevoir l’ambassadeur, avait voulu donner à ce refus, innocent en soi, une signification outrageante. Et il définissait bien la manœuvre de M. de Bismarck. Dans ces termes, M. de Gramont pourra tout à l’heure, devant la Commission, et par les communications concordantes reçues de plusieurs de nos agents à l’étranger, faire la preuve devant une Commission de la vérité de ces propos ; et cela fortifiera sa thèse, qui était déjà assez forte de l’aveugle passion de tous.

Ce qu’il fallait dire, ce que M. Thiers, seul, vit clairement dans la tempête, c’est que le ministère, après ses imprudences et ses aberrations, n’avait plus qualité pour juger de la gravité d’une offense, qui, de son propre aveu, ne résidait que dans « l’intention » : à l’insistance déplacée des uns répondait un procédé désobligeant de l’autre. Était-ce une raison pour jeter la France dans le gouffre ? Il fallait juger d’ensemble les négociations et c’est ce que M. Thiers avait fait supérieurement. La Chambre, d’ailleurs, se refusa à tout examen.