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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/240

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essentielle d’abord réclamée par eux, de produire à la fin une exigence nouvelle ?

Il aurait suffi aux commissaires, pour dissiper leur doute et leur malaise, de lire dans leur ordre et à leur date les dépêches successives envoyées par M. de Gramont à M. Benedetti, il lui aurait suffi d’entendre M. Benedetti lui-même qui était à Paris, et qu’il suffisait d’appeler. Le patriotisme offensé ne permettait pas ce simple examen. M. de Gramont vint en coup de vent à la Commission ; il donna lecture rapide des dépêches, sans en laisser le texte aux mains des commissaires, sans le mettre sous leurs yeux, peut-être même sans préciser exactement les dates ; tout se fondit dans un brouillard et quand, après cette lecture, le duc d’Albuféra dit au ministre d’un ton timide, et en termes où se révélait déjà la méprise : « Il me semble qu’il résulte de ces dépêches que vous avez toujours demandé la même chose ? » M. de Gramont n’eut pas la loyauté de le détromper. Les commissaires n’insistèrent pas, et ils retinrent comme acquis que, dès le premier jour, M. de Gramont avait demandé au roi de Prusse l’engagement pour l’avenir de ne plus permettre une candidature Hohenzollern. Voilà le châtiment des pays qui s’abandonnent, et qui croient que l’aveuglement est une part nécessaire de patriotisme. Les erreurs les plus grossières, les plus funestes et où les esprits les moins exercés ne tomberaient pas, peuvent être commises par des hommes habitués à la complication des affaire et à l’étude des documents.

À neuf heures et demie du soir, quand la séance de la Chambre reprit, M. de Talhouet, rapporteur de la Commission, monta à la tribune et lut un rapport où il y avait ceci : « Nous savions répondre au vœu de la Chambre en nous enquérant avec soin de tous les incidents diplomatiques. Nous avons la satisfaction de vous dire. Messieurs, que le gouvernement, dès le début de l’incident et depuis la première phase des négociations, a poursuivi loyalement le même but. Ainsi la première dépêche adressée à notre ambassadeur arrivé à Ems pour entretenir le roi de Prusse, se termine par cette phrase qui indique que le gouvernement a nettement formulé sa légitime prétention : « Pour que cette renonciation, écrivait M. le duc de Gramont à M. Benedetti, produise son effet, il est nécessaire que le roi de Prusse s’y associe et nous donne l’assurance qu’il n’autorisera pas désormais cette candidature. Veuillez vous rendre immédiatement auprès du Roi pour lui demander cette déclaration. »

« Ainsi, ce qui est resté le point litigieux de ce grand débat a été posé dès la première heure, et vous ne méconnaîtrez pas l’importance capitale de ce fait resté ignoré, il faut bien le dire, de l’opinion publique ».

L’erreur est matérielle, flagrante, monstrueuse. Ce n’est pas dans les premières dépêches adressées à l’ambassadeur, ce n’est pas dans les télégrammes du 9, du 10, du 11, qu’est la phrase citée par M. de Talhouet ; c’est seulement dans la dépêche du 12 au soir, quand la renonciation du prince est déjà connue. On ne peut supposer chez M. de Talhouet, chez tous les commissaires