Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/239

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Elle avait d’emblée voté l’urgence des projets ministériels, et les députés de gauche qui s’étaient levés de leur banc contre l’urgence avaient été accablés d’injures. « Ils sont seize », s’écria M. Dugué de la Fauconnerie. La motion Jules Favre, reprise par M. Buffet, et tendant à la communication des documents, recueillit seulement 84 voix.

Pourtant, il fallait bien qu’une Commission fit un rapport et il était impossible que le gouvernement ne fît pas connaître à celle-ci les pièces du dossier diplomatique. Elles lui furent communiquées, en effet, mais avec une hâte, une confusion, une obscurité peut-être voulue, qui aboutirent aux plus stupéfiantes méprises. Sur deux points, M. de Gramont trompa la Commission.

Que valait la renonciation du prince Léopold communiquée le 13, au matin, par le roi de Prusse et formellement approuvée par lui ?

Il était évident que ce retrait, malgré l’initiative apparente des princes, avait été provoqué par le Roi. Or M. de Gramont avait reçu, le 13, des télégrammes de Munich et de Stuttgard, qui l’informaient (d’une source non officielle) d’un bruit qu’on faisait circuler la veille, à Munich et à Stuttgard, au sujet d’une lettre que le roi de Prusse aurait écrite au prince de Hohenzollern pour lui conseiller de renoncer à sa candidature ». Ainsi l’action, d’ailleurs certaine du roi de Prusse, prenait forme précise, et la valeur de la renonciation s’en trouvait accrue. M. de Gramont ne crut pas devoir parler de ce télégramme à la Commission. Il a allégué depuis que c’était une manœuvre de la Prusse. La Bavière et le Wurtemberg voyaient avec déplaisir la candidature Hohenzollern, et les gouvernements de Munich et de Stuttgard, soucieux d’éviter à l’Allemagne l’épreuve de la guerre, s’appliquaient à apaiser le conflit. La Bavière l’essaiera jusqu’au bout, même alors que toute espérance de paix était évanouie, et son ministre des affaires étrangères, le comte de Bray, adressera le 16 juillet, au roi de Prusse, la demande suivante : « Que le Roi veuille bien adhérer à la doctrine déjà admise par les grandes puissances, laquelle exclut pour les trônes vacants en Europe, les princes des familles royales de ces grandes puissances ». Et c’est, dit M. de Gramont, parce que la Prusse connaissait les dispositions des gouvernements de Stuttgard et de Munich, c’est pour faire tomber leurs défiances et leur démontrer les intentions pacifiques du gouvernement prussien que les agents de M. de Bismarck faisaient courir le bruit d’une lettre du Roi demandant le désistement du prince. Soit : mais cela même démontrait l’impossibilité pour le roi de Prusse de dégager pleinement, aux yeux de l’Allemagne, sa responsabilité souveraine du désistement des princes. Moralement, cela ajoutait beaucoup à la victoire de la France, et rendait plus inutile encore et plus absurde la demande de garanties soudainement produite par M. de Gramont. C’est pourquoi le noble et honnête duc garda le silence sur cette dépêche. Mais une autre question hantait l’esprit de la Commission ; les paroles de M. Thiers avaient porté. Les ministres auraient-ils commis la faute, ayant obtenu par le retrait de la candidature la satisfaction