Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/271

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des téméraires pussent leur contester le pouvoir, les enlever. Par malheur, la mèche fut éventée avant l’heure. Le Comité central avait été appelé à mettre dans le secret certains chefs de bataillons de la garde nationale. L’un d’eux, Gustave Flourens, déjà investi un peu auparavant par Trochu de la dignité légèrement funambulesque de « major du rempart », gâta tout par sa hâte ou son personnalisme. Le mouvement était pour le 8. Dès le 6, Flourens se portait à l’Hôtel de Ville avec son bataillon de Belleville, semait l’alarme, permettait au gouvernement de prendre ses précautions, et se retirait sans avoir rien fait. Le 8, quand le gros des forces eut dû entrer en branle, l’occasion était envolée, le coup de main fusa en simple démonstration.

Le 31 octobre, l’affaire fut plus chaude. Un jour et une nuit, l’insurrection fut maîtresse de la place. C’est qu’aussi bien la population parisienne, jusqu’au plus couard des boutiquiers, en avait assez. Trois nouvelles, coup sur coup, venaient secouer la torpeur des plus endormis : la reddition de Metz, livrée par Bazaine, avec ses 160.000 défenseurs ; l’inexplicable retraite du Bourget succédant à une victoire d’abord emportée et claironnée ; enfin, l’arrivée, dans les murs, de M. Thiers, autorisé par Bismarck à y négocier l’armistice. Cette triple catastrophe provoqua même, si l’on peut dire, une émotion trop forte et trop universelle ; d’où le caractère chaotique de la journée. Un témoin oculaire, le colonel Montagut, sous-chef d’état-major de la garde nationale, expliquait plus tard à la Commission d’enquête sur l’insurrection du 18 Mars : « Le 31 octobre, il y a eu trois tentatives de révolution dans une seule, trois mouvements successifs n’ayant aucune analogie, tentés par des hommes n’ayant aucune sympathie les uns pour les autres « . Au matin, par exemple, on avait vu le colonel Langlois, dont on connaît le rôle conservateur subséquent, marcher avec son bataillon à la tête des assaillants. La foule força donc aisément les portes de l’Hôtel de Ville, y prit aisément les membres de la Défense comme dans une souricière ; mais la foule d’ordinaire est ainsi faite qu’elle ne comprend pas que l’on puisse remplacer des hommes connus autrement que par des hommes connus, des célébrités autrement que par des célébrités. De 2 heures de l’après-midi à 9 heures du soir, les vainqueurs se battirent autour des tables sur des listes de gouvernants où Victor Hugo, Ledru-Rollin, Raspail voisinaient avec Blanqui, Delescluze, Félix Pyat et Flourens.

Ainsi l’action propre de la Corderie se trouva noyée dans une agitation déréglée et confuse à laquelle ne présidait aucune volonté ferme, aucun dessein préconçu. C’est à peine si, très avant dans la soirée, les hommes du Comité central réussirent un instant à prendre le dessus, afin de tirer de la victoire populaire les résultats effectifs et durables qu’elle comportait. Blanqui, resté seul ou à peu près des gouvernants nouveaux à l’Hôtel de Ville, signait entre leurs mains sa démission et, en même temps, sanctionnait par sa signature la proclamation d’une Commune révolutionnaire, à laquelle il adhérait du reste comme membre, en compagnie d’une majorité de délégués directs de la