Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/272

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Corderie. Cette proclamation, que Vaillant avait rédigée, fut portée par un messager fidèle à l’Officiel. Si elle eût paru, c’était le succès du mouvement ; mais elle ne parut pas : la « Défense nationale » restait maîtresse de l’Officiel comme de la situation.

Il s’était passé ceci, en effet, que les bataillons révolutionnaires ayant, dans la seconde moitié de la nuit, regagné leurs quartiers, les bataillons des quartiers du centre et les mobiles bretons, gardes du corps de Trochu, avaient reconquis la place et obligé Blanqui et ses amis à la retraite. Une transaction était intervenue, aux termes de laquelle : 1o Nulle poursuite ne serait exercée contre qui que ce fût, à raison des événements qui venaient de se produire ; 2o Convocation serait faite à bref délai en vue d’élections municipales. En attendant, les gens de la « Défense » continueraient à occuper l’Hôtel de Ville.

En somme, la partie était perdue une fois encore. Trochu et Favre, Thiers derrière eux, qui s’en était allé retrouver Bismarck, demeuraient les maîtres. On y gagna seulement une prolongation de la résistance.

Au surplus, le gouvernement viola outrageusement ses engagements. Une quarantaine de mandats d’amener furent lancés contre les principaux manifestants du 31, dont beaucoup ainsi ne devaient recouvrer la liberté qu’après la capitulation. D’autre part, au lieu de procéder aux élections promises, les dirigeants républicains, chaussant les souliers de l’Homme de Décembre, résolurent de se faire plébisciter. Le plébiscite eut lieu le 3 novembre. Il donna 321.000 oui pour le maintien de la Défense, contre 54.000 non. Ces 54.000 protestataires, groupés surtout dans les faubourgs, représentaient ce qu’il y avait de plus sain et de plus militant dans la classe ouvrière ; mais ils avaient été impuissants à secouer la veulerie de la masse. Paris, malgré leur énergie, abdiquait ; il allait rouler jusqu’au fond de l’abîme.

Près de trois mois séparent la tentative avortée du 31 octobre de la tentative également avortée de 22 janvier.

Mois de deuil et d’épouvante ! Mois de souffrances, de privations et d’angoisses ! L’hiver est venu, un des hivers les plus rigoureux du siècle ; et cette population, ces deux millions d’êtres humains enfermés dans l’enceinte, coupés de toute communication avec le monde extérieur, manquent de tout, de l’essentiel : de vivres et de combustible, de pain et de charbon. La faim et le froid à la fois les assaillent et les tenaillent.

Pendant que les hommes, sous le képi du garde national, attendent aux remparts un ennemi qui ne viendra pas et usent leur santé et leur énergie en d’interminables factions, au lieu de courir sus dans la plaine à l’adversaire, comme le voudrait leur courage, les femmes, les enfants, les vieillards, dès cinq heures du matin, stationnent dans la neige, la boue glacée, aux portes des boulangeries pour obtenir quelques grammes d’un pain immangeable. Mêmes stations répétées ensuite aux portes des boucheries, des épiceries. C’est le rationnement, le rationnement non pas tel que le Corderie l’avait réclamé au