Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/358

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pires, d’un second investissement avec ses affreuses conséquences : bombardement, rationnement, famine et le reste.

Sitôt après la fuite de Rampont, une délégation des commerçants s’en était venue trouver la Commune. Lefrançais et Vaillant, avec Theisz, la reçurent au nom de la Commission exécutive. La Commune, il va de soi, ne pouvait pas et ne voulait pas s’associer à une démarche directe auprès de l’Assemblée rurale ; mais elle autorisa les délégués des commerçants à se rendre à Versailles et à y proposer un arrangement auquel elle déclarait souscrire pour son compte. Aux termes de cet arrangement, le service postal aurait été, jusqu’à nouvel ordre, dirigé par des mandataires choisis par l’ensemble des commerçants et industriels parisiens. En outre, deux contrôleurs généraux auraient été nommés, l’un par l’Assemblée nationale, l’autre par la Commune, pour surveiller les recettes et en répartir le montant au prorata, selon les règles consacrées, entre les ayants droit : la ville de Paris et l’État. Cet arrangement aboutissait, en somme, à la neutralisation du service des Postes dont le fonctionnement demeurerait ainsi assuré, quoiqu’il arrivât. La Commune se prêtait donc de bonne grâce à une transaction favorable aux intérêts généraux, mais Versailles n’imita pas l’exemple ainsi donné. Thiers se montra sourd aux sollicitations des ambassadeurs qui lui furent dépêchés. Presque brutalement, il les éconduisait, sans même le souci de masquer par une bienveillance feinte le dédain supérieur qu’il professait pour les besoins de la capitale, que ces besoins fussent ceux de la « vile multitude » ou de la classe moyenne. Ceci étant, il ne restait à la Commune que d’aviser à réduire le mal à son minimum. C’est ce qu’elle et en confirmant la nomination de Theisz à la direction des Postes, au lieu et place de Rampont. L’ouvrier Theisz s’en tira à merveille ; en quarante-huit heures, aidé par tout le petit personnel qui l’avait rallié, il rétablit les communications dans l’intérieur de la ville. Des agences particulières se chargèrent comme elles purent de faciliter les communications avec la province.

Le contraste entre l’attitude des deux pouvoirs, celui qui siégeait au cœur de la cité, à l’Hôtel de Ville révolutionnaire, et celui qui s’abritait, à vingt kilomètres de là, dans le palais de l’ancienne monarchie absolue, venait en tout cas de se révéler trop tranché pour que les imaginations les plus paresseuses n’en aient pas été ébranlées. À ce moment, autant qu’au 18 Mars, Paris tout entier, peut-on dire, sentit le péril, eut la perception nette de l’ennemi, d’un ennemi qu’il ne s’agissait plus de chansonner ou de ridiculiser, mais contre lequel il fallait marcher et qu’il fallait abattre pour soi-même vivre, respirer et se mouvoir à l’aise. La guerre civile, que beaucoup jusque-là s’étaient refusés d’envisager comme possible, se dressait dans la pensée de tous comme inévitable, comme la solution fatale et la seule issue.