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THIERS À LA BESOGNE


Thiers escomptait-il pour sa politique de meurtre le contre-coup de l’émotion que ses provocations devaient déchaîner ? Méditait-il ainsi d’acculer la Commune aux résolutions du désespoir ? C’est possible, c’est même certain.

Pour s’en convaincre, il suffit de relever ses paroles et de s’enquérir de ses machinations à dater du jour de sa fuite, qui elle-même ne s’explique que par son âpre désir de pousser à l’extrême le conflit et d’obliger la Révolution à livrer bataille rangée. Qu’il se soit prêté à la comédie des maires négociant en vue d’élections avec le Comité central, c’est indéniable. Il savait trop bien qu’il n’y avait là qu’amusette, dont l’acte final ne l’inquiétait guère, puisqu’il tenait en ses mains les ficelles des premiers rôles du parti de l’ordre qui grimaçaient alors sur la scène parisienne : Tirard, Langlois ou Saisset. Mais dès le pacte conclu entre les maires et les représentants de la garde nationale, c’est-à-dire dès Paris rentré dans ce que l’on est convenu de dénommer la légalité, que dit Thiers ? Que fait-il ? Sa première manifestation est une déclaration de guerre. Il y calomnie et y insulte à la fois et, par avance, cherche à infirmer le verdict que les électeurs vont rendre. Dès le dimanche, 26 mars, il télégraphie à ses préfets, en une circulaire que toute la presse provinciale reproduira le lendemain : « La France résolue et indignée se serre autour du gouvernement et de l’Assemblée nationale pour réprimer l’anarchie. Cette anarchie essaie toujours de dominer Paris. Un accord, auquel le gouvernement est resté étranger, s’est établi entre la prétendue Commune et les maires, pour en appeler aux élections. Elles se feront aujourd’hui, probablement sans liberté, et dès lors sans autorité morale ; que le pays ne s’en préoccupe point et ait confiance. L’ordre sera rétabli à Paris comme ailleurs ».

Le 28 mars, nouvelle circulaire moins outrageante peut-être, car l’homme a peur à cet instant ; il doute : les 230.000 électeurs qui se sont portés le 26 au scrutin lui ayant donné à réfléchir, mais dont le ton reste quand même de défi et de menace : « À Paris, mande-t-il, il règne un calme tout matériel.

« Les élections auxquelles une partie des maires s’étaient résignés, ont été désertées par les citoyens amis de l’ordre. Là où ils ont pris le parti de voter, ils ont obtenu la majorité, qu’ils obtiendront toujours, lorsqu’ils voudront user de leurs droits, on va voir ce qui sortira de ces illégalités accumulées.

« … Du reste, si le gouvernement, pour éviter le plus longtemps possible l’effusion du sang a temporisé, il n’est pas resté inactif et les moyens de rétablir l’ordre n’en seront que mieux préparés et plus certains. »

Le plan de Thiers est donc bien de séparer Paris de la France et d’ameuter la France contre Paris. Il écarte toute pensée de compromis, en condamne jusqu’à l’espoir, manœuvre pour amener le pays à cette conception que les Parisiens sont des brigands et qu’on ne parlemente pas et ne compose pas avec