Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/404

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milliers de ses unités tuées ou prisonnières et avaient amené deux fois l’ennemi presque jusque dans Paris. Les chefs sauraient prévoir, combiner, manœuvrer ; les soldats pouvaient donc se battre, risquer leurs os avec quelque avantage, quelque utilité. Leur bravoure ne se dépenserait plus en pure perte. Réglée, disciplinée, elle arrêterait les Versaillais, les immobiliserait devant les tranchées et les forts, les contraindrait à entreprendre un siège méthodique et long dont l’issue demeurait problématique.

Le malheur est que si les chefs y étaient enfin ou à peu pris, l’armée n’y était plus et y sera de moins en moins. Il ne faut pas s’en remettre pour juger les effectifs militaires de la Commune aux états officiels fournis par les officiers de la délégation à la Guerre pas plus qu’aux statistiques de source versaillaise. Le rapport du 2 au 3 mai, sur la situation des légions, dressé par le colonel chargé de l’organisation Mayer et approuvé par les membres de la Commission de la Guerre : Arnold, Avrial, Rergeret, Delescluze, Ranvier et Tridon donne présents sous les armes dans les compagnies de marche 84.986 hommes avec 3.413 officiers, et dans les compagnies sédentaires 77.665 hommes avec 3.094 officiers[1]. Pour sa part, le général Appert renchérissant encore sur ses données, dans sa déposition à la Commission d’Enquête sur le 18 mars, porte à 99.062 l’effectif des troupes actives dont disposa la Commune et à 114.842 l’effectif des troupes sédentaires, soit au total 213.904 gardes nationaux de première ou de seconde ligne. Ni l’un ni l’autre de ces documents ne relate le vrai. Le colonel Mayer et la Commission de la Guerre avaient voulu, en forçant considérablement les chiffres, redonner confiance et vigueur aux défenseurs de la Commune et à la population parisienne. Quant au général Appert, parlant après la victoire de l’armée de l’ordre, il tenait à souligner la grandeur du triomphe en enflant arbitrairement la puissance de l’ennemi révolutionnaire que la réaction avait trouvé devant elle.

En réalité, les 100.000 hommes que la Commune avait en au 2 et au 3 avril, qui s’étaient levés encore pour elle immédiatement après l’échec de la sortie et pour conjurer les suites périlleuses de cet échec, n’y étaient déjà plus le 7 ou le 8 avril. Dombrowski, Wroblewski et leurs lieutenants, même aux plus beaux jours, disposeront au maximum de 30 ou 35.000 hommes : 12 à 15.000 vers le Sud, 15 à 20.000 vers le Nord-Ouest. Sous ses ordres directs, Dombrowski aura, par occasion, jusqu’à 6.000 hommes ; malgré ses appels pressants et continus à la Commune, il n’en pourra en aucune circonstance grouper davantage.

Ce sont ces braves, dont les rangs iront s’éclaircissant sans cesse sous le passage des balles et des obus, qui s’opposeront pendant un mois et demi aux 150.000 hommes de Vinoy et de Mac-Mahon, quotidiennement renforcés par des troupes fraîches venues des camps de concentration de Cherbourg, de

  1. Journal Officiel du 6 mai, p. 484-485.