Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/432

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demi plus tôt, le vote de ce texte eut très probablement retenu dans le sillage de la Commune nombre de négociants et industriels que Versailles, exigeant pour sa part le remboursement immédiat des créances, acculait à la banqueroute et à la ruine. Mais le 16 avril, il y avait beau temps que la bourgeoisie marchande de la capitale avait cessé de considérer la Commune comme un gouvernement viable.

Trop tardif encore le décret sur les opérations du Mont-de-Piété. Certes, la question était complexe ; elle intéressait directement les finances de la Ville et l’on comprend jusqu’à un certain point les résistances de Jourde. Mais est-ce que la misère peut attendre ? Le décret du 29 mars, qui avait simplement suspendu la vente des objets déposés, ne mettait pas de vêtements sur le dos des femmes et des enfants des soldats de la Commune. Aussi ce décret, dans les ménages ouvriers, était-il considéré comme nul et on en attendait impatiemment un autre qui restituât les objets les plus indispensables à leurs misérables propriétaires. Or, ce décret, après une interminable et pénible discussion, ne parut à l’Officiel que le 6 mai. Encore n’autorisait-il que le dégagement gratuit des reconnaissances antérieures au 25 avril, portant engagement jusqu’à 20 francs d’effets d’habillement, de meuble, de linge, d’objets de literie et d’instruments de travail. L’opération devant porter sur près de 2 millions d’articles, on répartit ceux-ci en 48 séries à tirer au sort. Un premier tirage fut effectué le 12 mai, un second le 20. Le 21, les Versaillais étaient dans Paris.

À l’occasion de ces décrets, la Commune eut pu aisément marquer plus de souci pour ses défenseurs. En traînant un peu moins et en tranchant plus délibérément dans le vif, l’Hôtel de Ville eut fourni certainement aux éléments hésitants et inertes de la garde nationale quelques bonnes raisons d’aller se faire casser la tête aux forts ou aux avant-postes ; elle aurait donné un sens plus précis, plus tangible, plus populaire à la grande bataille engagée entre le capital et le travail. Un bon décret vers le 5 ou le 10 avril équivalait à une victoire remportée sur les Versaillais.

Les événements posaient encore une question de même ordre que les précédentes, d’intérêt moins universel sans doute, mais qui avait néanmoins son importance, puisque de sa solution dépendait en partie la reprise du travail, partant le gain du pain quotidien pour nombre de familles ouvrières. Il s’agit de la question des ateliers abandonnés par les patrons propriétaires et conséquemment fermés, avec leur personnel salarié jeté à la rue. Ici, sous l’inspiration d’Avrial conseillé par Vaillant et avec l’agrément de la Commission du Travail et de l’Échange, la Commune aboutissait à un décret à tendances nettement expropriatrices et socialistes, le seul ou à peu près qu’elle ait promulgué.

Ce décret conférait aux Chambres syndicales le mandat de dresser une statistique des ateliers abandonnés ainsi qu’un inventaire de l’état dans lequel ils se trouvaient et des instruments de travail qu’ils renfermaient, et de présenter