Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/454

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notre rupture avec le militarisme, cette sanglante négation de tous les droits de l’homme.

« Le premier Bonaparte a immolé des millions d’enfants du peuple à une soif insatiable de domination ; il a égorgé la République après avoir juré de la défendre. Fils de la Révolution, il s’est entouré des privilèges et des pompes grotesques de la royauté ; il a poursuivi de sa vengeance tous ceux qui voulaient penser encore ou qui aspiraient à êtres libres ; il a voulu river un collier de servitude au cou des peuples afin de trôner seul, dans sa vanité, au milieu de la bassesse universelle. Voilà son œuvre pendant quinze ans.

« Elle a débuté le 18 brumaire par le parjure, s’est soutenue par le carnage, a été couronnée par deux invasions ; il n’en est resté que des ruines, un long abaissement moral, l’amoindrissement de la France, le legs du second Empire commençant au Deux Décembre pour aboutir à la honte de Sedan.

« La Commune de Paris avait pour devoir d’abattre ce symbole du despotisme : elle l’a rempli. Elle prouve ainsi qu’elle place le droit au-dessus de la force, et qu’elle préfère la justice au meurtre, même quand il est triomphant.

« Que le monde en soit bien convaincu : les colonnes qu’elle pourra ériger ne célébreront jamais quelque brigand de l’histoire, mais elle perpétueront le souvenir de quelque conquête glorieuse dans le champ de la science, du travail et de la liberté…

« La place Vendôme s’appelle des à présent, place Internationale[1] »

Le dernier trait est particulièrement caractéristique. On cherche quelquefois le socialisme de la Commune ; on passe au crible pour le trouver ses proclamations et ses décrets ; mais il nous semble qu’en voilà ; à moins qu’on n’y veuille voir cependant, exposé qu’il est sous sa face antimilitariste, et pour cause, une déviation avant la lettre. En tout cas, ni Versailles, ni Berlin ne s’y trompèrent et ils le prouvèrent.

À la séance du 11 mai, à l’Assemblée nationale, Thiers, sommé par les chevau-légers du légitimisme de s’expliquer sur les relations qu’il entretenait avec les conciliateurs des municipalités républicaines — et l’on sait, hélas ! ce qu’en valait l’aune — s’était écrié : « Je dis qu’il y a parmi vous des imprudents qui sont trop pressés. Il leur faut huit jours encore. Dans huit jours, il n’y aura plus de danger et la tâche sera proportionnée à leur capacité et à leur courage ». Après cette apostrophe cinglante qui en disait long, tant sur les exécrables projets du chef de l’Exécutif que sur l’imbécillité congénitale de ses adversaires de droite, la Chambre, par 490 voix sur 499 avait renouvelé sa confiance à celui qui la dominait par son incontestable supériorité faite de

  1. Le décret de démolition, en date du 12 avril, disait d’une façon peut-être plus nette encore qu’il convenait que la colonne fut abattue « comme n’étant qu’un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à un des trois grands principes de la République française : la Fraternité ».