Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/455

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lucidité et de scélératesse. Depuis trois ou quatre jours notre homme avait également les coudées franches du côté de l’extérieur, la paix venant d’être signée définitive à Francfort, qui octroyait au vainqueur deux provinces et cinq milliards. Partant, il n’avait plus à craindre d’être troublé dans son grand œuvre par les manèges diplomatiques de Bismarck, qui, le 7 mai encore, le sommait par ultimatum de faire rétrograder l’armée de Versailles jusque derrière la Loire, pour laisser agir les troupes prussiennes contre Paris.

Le président des ruraux n’avait donc jamais été si fort, si libre, si maître de jongler à sa guise avec les événements et les hommes. Il était sûr, à cette heure, de son fait. Huit jours encore, et dans huit jours Paris serait à lui ; il terrasserait la Révolution pantelante, briserait pour des années la poussée prolétaire et socialiste. Comment entrerait-il ? Par la ruse ou par la force ? Peu lui importait, et il mit en usage durant cette dernière huitaine tous les procédés et tous les moyens.

Il avait des intelligences dans la place, nombreuses et coûteuses, sinon solides : d’anciens porte-sabres de l’armée régulière ou des boutiquiers désireux de se donner de l’importance : Domalain, Charpentier, Durochoux, Demay, Gallimard qui avaient sollicité et reçu mandat de grouper dans les divers arrondissements les gens d’ordre pour seconder de l’intérieur, au moment décisif, l’assaut versaillais ; aussi des fonctionnaires civils ou militaires de la Commune, tels que ce Barral de Montaut, commandant de la 7e légion, qui joua, grâce à la connivence de l’aveugle Urbain, un rôle très pernicieux. Il avait encore des policiers et des espions à la douzaine qui s’introduisaient plus ou moins habilement dans les divers services pour les désorganiser ou qui, comme Aronshon ou le Vaysset, dont nous avons parlé, travaillaient à acheter les chefs de la garde nationale au dernier carrat. Même, il ne dédaignait pas de prendre langue, par l’intermédiaire de Scapins de la haute avec ces aliénés ou ces condottieri qui avaient nom Lullier, Du Bisson, Ganier d’Abin, etc. Mais surtout, il cherchait à soudoyer ceux-là des chefs des fédérés qui commandaient aux remparts, face à ce bois de Boulogne, à deux pas des cheminements souterrains de ses troupes. Il avait essayé et échoué avec Dombrowski. Il semble avoir été plus heureux avec les subordonnés de celui-ci. Il y avait à la Porte-Dauphine un certain Laporte, colonel de son grade, qui tenta certainement, par deux ou trois fois, de livrer la porte dont il avait la garde. La première tentative avait eu lieu dans la nuit du 2 au 3 mai. Plusieurs divisions massées vers le bois étaient prêtes à s’ébranler, et Thiers, en personne, surveillait de Sèvres : mais les signaux convenus ne vinrent pas. Une deuxième tentative se produisit dans la nuit du 12 au 13. Tout un matériel d’escalade avait été rassemblé ; mais le coup rata encore, car si Laporte était un traître, c’était aussi un imbécile, Une troisième fois, il récidivera pour le même prix.

La manière forte était donc encore la meilleure. C’est ce dont le généralissime Thiers était du reste au fond convaincu. Aussi, accroissait-il sans cesse