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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/46

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le Rhin avec huit cent mille hommes et nous vous prendrons l’Alsace.

— Quoi ! s’écria Benedetti, vous pensez que l’Autriche fera la paix avec vous si nous marchons contre vous ?

Bismarck lui dit : Ce n’est pas une pensée nouvelle ; si donc vous allez à Paris, mettez votre Gouvernement en garde contre une guerre qui pourrait être redoutable.

— Je le ferais volontiers, répondit l’ambassadeur, mais ma conscience m’oblige à déclarer à Paris, à l’Empereur, que s’il n’obtient pas une cession de territoire il est exposé, avec sa dynastie, au péril d’une révolution.

— Soit ; mais ajoutez qu’une guerre née de pareils motifs pourrait bien être conduite par des moyens révolutionnaires : et en face d’un péril révolutionnaire les dynasties allemandes seraient plus solidement fondées que celle de l’empereur Napoléon III.

Ce n’est point par Benedetti que nous savons le détail de cette entrevue dramatique de Nikolsbourg. Lui qui, dans son livre : Ma Mission en Prusse, cite si largement toutes les dépêches qui peuvent prouver sa modération et sa clairvoyance, il s’abstient de reproduire la lettre où il racontait à son Gouvernement sa démarche auprès du ministre prussien. Peut-être laissait-elle trop voir combien il avait encouragé à cette date les prétentions si imprudentes du Gouvernement français. Il avoue cependant qu’il avait approuvé cette politique de compensation :

« En présence des importantes acquisitions que la paix assurait au Gouvernement prussien, je fus d’avis qu’un remaniement territorial était désormais nécessaire à notre sécurité. »

Et surtout il avertissait le Gouvernement que la résistance obstinée de la Prusse ne pourrait être vaincue que par la plus énergique pression.

« Je n’ai rien provoqué, explique-t-il, j’ai encore moins garanti le succès ; je me suis seulement permis de l’espérer, pourvu que nous fussions en mesure de montrer que nous étions disposés à l’exiger, pourvu, en un mot, que notre langage fût ferme et notre attitude résolue, ainsi que M. Drouyn de Lhuys a résumé lui-même mes appréciations et la condition à laquelle je subordonnais le résultat de notre démarche. »

Donc, quand le 7 août, c’est-à-dire après trois tentatives infructueuses, M. Benedetti revient à la charge une quatrième fois et apporte à M. de Bismarck le projet de traité qui stipulait la cession à la France de la rive gauche du Rhin, ou cette démarche n’avait aucun sens, ou c’était une sommation. Elle était d’autant plus menaçante que la paix définitive avec l’Autriche n’était pas encore signée. Que devenait à ce moment, dans la pensée de la France, le droit des peuples ? En vertu de quel titre allait-elle mettre la main sur ces régions rhénanes qui avaient été incorporées à la France pendant vingt-cinq ans par la conquête révolutionnaire et napoléonienne, mais qui n’avaient pas demandé leur annexion à notre pays. Il n’était même pas question, dans le projet de traité,