Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/468

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leurs feux sur son réduit, avec Varlin aussi, brave entre les plus braves, qui anime de sa foi indomptable les combattants groupés dans le VIe arrondissement, aux barricades du carrefour de la Croix-Rouge, des rues de Rennes et Vavin. Mais là encore le résultat prochain ne laisse aucun doute. Menacés sur leur flanc, Brunel comme Varlin, pour ne pas être enveloppés, seront contraints d’évacuer leurs positions la nuit venue et demain le drapeau tricolore flottera là où hier encore, à la tombée du jour, flottait le drapeau rouge. Les assassins tiennent déjà la moitié de Paris.

À l’Hôtel de Ville, ce qui reste de la Commune songe aussi à évacuer vers la mairie du XIe. Les charrettes, les omnibus chargés de munitions commencent le déménagement. L’ennemi n’est plus qu’à deux ou trois portées de fusil. Demain matin, peut-être sera-t-il sur la place. Les barricades des Tuileries abandonnées par ordre de la Guerre, contre l’avis de Brunel, qui se flatte de tenir encore, nulle défense sérieuse ne s’oppose plus à la marche des assaillants, rien que les incendies qui flambent dans toute cette partie de la ville, entre les deux armées. L’incendie du ministère des finances, qui débuta la veille, n’est pas éteint. Brûlent aussi tout le long de la Seine, projetant des flammes gigantesques et des gerbes d’étincelles dans le ciel noir, les Tuileries, la Légion d’honneur, le Conseil d’État, la Cour des Comptes. Les lueurs aveuglantes irradiées de ces foyers énormes se reflètent dans le fleuve qui paraît charrier du feu. La rue Royale, la rue du Bac, la rue de Lille, la Croix-Rouge sont autant de brasiers ardents. Les explosions succèdent aux explosions avec un fracas de tonnerre. Le spectacle est fantastique, d’une beauté grandiose et terrible. On croirait que la ville entière veut, comme Moscou, s’abîmer dans les flammes et les cendres plutôt que de se livrer au vainqueur.

Par qui allumés ces incendies ? Thiers, la réaction, en ont fait, après coup, une des charges les plus accablantes contre les communeux, barbares qui s’en prenaient aux pierres et rêvaient d’anéantir avec eux les monuments glorieux du passé. Avec ça qu’il était commode de savoir, dans le chassé-croisé incessant de la mitraille, qui apportait l’étincelle dévastatrice du boulet versaillais ou de l’obus parisien. Avec ça que les dirigeants bonapartistes, voire républicains n’avaient pas un intérêt majeur à détruire de fond en comble avec les documents qui y étaient entassés ces édifices : Ministère des finances, Cour des Comptes, Conseil d’État où se trouvaient consignées les preuves de leurs infamies, de leurs trafics et de leurs dilapidations. D’un de ces incendies pourtant, la Commune a revendiqué avec orgueil la responsabilité, des Tuileries brûlées par son ordre afin que disparut jusqu’au dernier vestige le logis qui avait abrité dix-huit ans l’Empire et ses saturnales ; mais qui dira que cette bâtisse manque aujourd’hui à l’ornement de Paris ? Quant aux incendies des maisons particulières ils furent, comme l’on sait, d’ordre stratégique, ayant pour objet soit de suspendre et retarder la marche de l’ennemi, soit de protéger les défenseurs des barricades contre les mouvements tournants. C’est le procédé classique