Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/471

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fusille les prisonniers, qu’il tue la femme et l’enfant à côté de l’homme. Dans cette occurrence effrayante, ils ne tremblent pas, ils ne reculent pas, mais ils veulent du moins, avant de périr, avoir rendu coup pour coup, ne pas s’en aller sans s’être vengés.

De ce milieu enflammé, voilà que se détache un peloton conduit par Genton, insurgé à barbe grise, qui a vu Juin 48 et conspiré contre l’Empire tout puissant. Ce peloton se rend à la Roquette pour y fusiller quelques-uns des otages de marque qui y ont été conduits la veille, Genton a demandé « Qui veut former le peloton ? », « Moi, a dit l’un, je venge mon frère ». « Moi, a dit un autre, je venge mon père ». Un troisième « J’y ai droit, ils ont fusillé ma femme ». Cent s’offraient. Genton en a pris trente et ils sont partis. À la prison, le directeur François refuse de livrer les prisonniers sans ordre écrit. Genton est revenu à la mairie du XIe trouver Ferré et il reparaît avec l’ordre. Sont marqués pour la mort, Darboy archevêque, Bonjean, le président, Deguerry, curé de la Madeleine, Allard, Clerc, Ducoudray, pères jésuites. Ils ont quitté leur cellule. Les voilà dans le chemin de ronde, alignés contre le mur. Sicard commande le feu. Cinq tombent à la première décharge. L’archevêque seul est resté debout. Une seconde décharge le couche à terre.

Un hideux sourire dut plisser les lèvres minces de Thiers, quand il apprit le fait. L’insurrection lui donnait enfin ces cadavres auréolés de la couronne du martyre qu’il avait tant souhaité. Il en allait jouer maintenant. Il dira demain, il dira des semaines, et la bourgeoisie hypocrite répétera avec lui, que si l’on saigne et si l’on égorge dans Paris, si l’on supplicie et si l’on mitraille à Satory, c’est pour venger les saintes, les nobles victimes. Plaisanterie infâme. L’armée de l’ordre depuis trois jours déjà assassinait. Que cette exécution ne se fut pas produite et celle qui suivit, rue Haxo, que l’armée eut tué autant. Il fallait son compte de têtes à la classe régnante ; il lui fallait celles de tous les révolutionnaires et tous les socialistes qui avaient mis un instant son privilège en péril.

On ne contestera pas que lorsque tombèrent ces six représentants sacrés ou laïques de la réaction, que Thiers avait du reste lui-même voués à la mort en refusant de les échanger contre Blanqui, des milliers de travailleurs parisiens jonchaient déjà le sol de leurs corps refroidis. L’armée d’ailleurs n’opérait plus seule. Elle était stimulée, aidée par tous les congénères de Darboy et de Bonjean, par tous les bourgeois qui réfugiés à Versailles ou tapis dans leurs caves, tant que la Commune avait gouvernée, reparaissaient à cette heure, le brassard tricolore en évidence, figurant les chacals et les hyènes qui suivent en hurlant les grands carnassiers en chasse. C’était bien la guerre inexpiable, la bataille de classe dont les péripéties se déroulaient dans les rues et sur les boulevards. Par sa haine exaspérée, la canaille dorée ou argentée sacrait la Commune, dans son agonie, prolétaire et socialiste, si, tant est qu’elle ne l’eut pas été pleinement en ses jours de santé et de vigueur.

Qui donc le dit ? Des écrivains communeux, des historiens sympathiques à