Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/472

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l’assassinée ? Oui, mais ceux-là aussi qui écrivant au jour le jour des événements n’avaient d’autre but que de glorifier la réaction et son armée. Voici, par exemple, l’aveu que laisse échapper sans s’en douter, sur les atrocités qui marquèrent cette journée de mercredi, le publiciste versaillais, Jezierski, rédacteur au journal le Temps, ami de Thiers :

« Malgré les obus, la foule se porte sur la place du Théâtre-Français : une épaisse fumée monte au-dessus des Tuileries, le dôme est déjà écroulé ; dans l’asile de l’ex-ministère d’État, on voit, à travers les fenêtres, la flamme ruisseler, lourde et huileuse ; c’est bien le feu du pétrole. Alors la fureur s’empare de la foule ; jusque là elle était plutôt au sentiment heureux de la délivrance ; mais la joie s’exaspère, tourne aux passions impitoyables de la vengeance et des représailles. Ces incendies projettent des nuages de fumée noire ; ils allument, dans les cœurs, un autre incendie non moins féroce. « Fusillez les prisonniers ! Pas de quartiers ! À mort les pétroliers ! » crient les groupes affolés aux soldats… Alors s’organise la chasse aux suspects, hommes et femmes ; on arrête et on fusille sur place ; la foule applaudit. Dans les maisons, concierges et boutiquiers bouchent avec soin toutes les ouvertures, tels que les soupiraux des caves, les embrasures des sous-sols.

« Les nouveaux incendies qui éclatent sans relâche jusqu’à samedi, joints à l’égorgement des otages dans les prisons, nourrissent et exaspèrent cet emportement de justice déréglée et sauvage. De plus, des obus à pétrole pleuvaient en grand nombre, surtout la nuit, des Buttes-Chaumont et du Père-Lachaise sur les quartiers du Centre. Aussi les exécutions sommaires, réclamées par la voix publique, se multiplient dans les carrefours et sur les quais. Pour ceux qui, malgré eux, ont vu un de ces misérables, l’œil effaré, le visage convulsif, rouler sous les balles, ce souvenir restera éternellement comme un hideux cauchemar »[1].

La preuve est faite. N’insistons pas. Il faudrait des pages et des pages encore pour relater l’ensemble des crimes perpétrés par l’armée et par la bourgeoisie en furie, l’une aidant l’autre, en ces heures affreuses.

La nuit revint avec son cortège d’épouvantes. Pour leur duel à mort, à peine interrompu par la trêve des ténèbres, les deux adversaires fourbissaient leurs armes. Si la fusillade se taisait, la canonnade continuait du reste plus sonore et plus lugubre dans le silence général des choses. Des hauteurs des Buttes-Chaumont, du Père-Lachaise et de Bicêtre, du Panthéon, du Trocadéro et de Montmartre, les obusiers fédérés et versaillais échangeaient d’infernales répliques couvrant la ville d’un déluge de fer. Cependant de nouveaux incendies illuminaient la profondeur des cieux de leurs fauves lueurs. À côté des Tuileries, de la Cour des Comptes, de la Légion d’Honneur qui flambaient toujours, l’Hôtel de Ville, le Palais Royal, le Théâtre Lyrique, l’Église Saint-Eustache,

  1. L. Gerzieski. La Bataille de sept jours, p. 56-57-63.