Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/474

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la Porte Saint-Martin, la Préfecture de Police, le Palais de Justice vomissaient, comme des volcans en fusion, des flots empourprés. Selon la forte expression de Lissagaray, témoin de la scène : « Paris semblait se tordre dans une immense spirale de flammes et de fumée. »

Au matin, dès 6 heures, les Versaillais reprenaient leur marche en avant sur toute la ligne. Au nord, les fédérés avaient évacué d’eux-mêmes, pendant la nuit, la plus grande partie du Xe arrondissement et s’étaient repliés avec Brunel sur la place du Château-d’Eau. Au centre, l’Hôtel de Ville était tourné par la place des Vosges et la rue Saint-Antoine et son emplacement occupé. De ce fait, la Bastille allait se trouver presque immédiatement menacée. Sur la rive gauche, Cissey avait reçu des renforts considérables. Avec deux brigades et une puissante artillerie, il attaquait pour la cinquième fois la Butte aux Cailles et l’emportait enfin. Wroblewski avait résisté trente-six heures. Dans une retraite habilement ménagée, il franchissait le fleuve au pont d’Austerlitz amenant avec lui une partie de ses canons et mille braves du XIIIe. Le restant était demeuré et devait être tué sur place derrière les barricades du quartier. Cissey, du coup, maître de toute la rive gauche et en plus des forts de Bicêtre et d’Ivry, dont la garnison s’était rabattue sur les Gobelins pour ne pas être coupée, suivait pas à pas dans leur retraite les glorieux vaincus et venait se heurter dans cette marche aux fortes positions du pont d’Austerlitz que les troupes de Vinoy abordaient d’autre part. Les deux généraux ne forceront ce passage qu’après plusieurs heures et au prix de pertes considérables. Mais, à leur tour, vers la fin du jour, ils entreront en contact direct avec les défenses de la Bastille.

Au Château-d’Eau, l’attaque a déjà commencé. Des barricades ont été élevées au débouché des sept larges avenues qui convergent vers la vaste place et la lutte va y prendre des proportions épiques. C’est qu’aussi bien, ainsi que nous l’avons dit, là sont venus chercher un refuge les plus fervents, les plus déterminés défenseurs de la Révolution ; un refuge, plutôt un autre champ de bataille, le dernier sans doute. Décidés à donner leur vie, ils se serrent autour de la Commune, de ce qu’il en reste et qui siège, dans le tumulte au milieu des râles des agonisants, des plaintes des blessés, des sifflements de la mitraille, du rugissement de la canonnade, à la mairie du XIe. Delescluze, brisé par l’âge, la maladie, aphone et que sa volonté seule soutient, essaie encore de faire son métier de délégué à la Guerre. À ses côtés, Jourde, la main sur la cassette où sont enfermés les derniers cinq cent mille francs qu’il s’est fait remettre mardi, à la Banque de France, aligne des colonnes de chiffres, distribue la solde appliqué et tranquille comme s’il était encore au ministère des Finances. Dans une pièce voisine. Ferré, imperturbable, juge les espions, les traîtres constamment amenés devant lui. Du Comité de Salut public, Gambon et Arnaud sont présents aussi. Ranvier commande aux Buttes-Chaumont. Seul, Billioray a disparu dès dimanche soir. On ne le reverra pas, non plus que Félix Pyat,