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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/475

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son émule en violences verbales, au temps où les Versaillais stationnaient de l’autre côté du rempart. L’un et l’autre sont maintenant terrés en quelque cachette discrète. Mais ce triste exemple, il faut le dire bien haut à l’honneur des élus du 26 Mars, n’a pas été imité.

De leurs collègues, ceux qui ne sont pas déjà prisonniers ou morts comme Raoul Rigault fusillé, hier, rue Gay-Lussac, après la prise des barricades du Panthéon, presque tous sont présents au poste du danger et du devoir, ceux de la minorité, comme ceux de la majorité. Voici Cournet, Mortier, Verdure, Martelet, Champy, J.-B. Clément, Vaillant, Johannard, Viard, Chardon, Géresme, Dereure, Trinquet, Pottier, Allix, Eudes, Brunel et voilà Vallès, Longuet, Arnold, Franckel, Pindy, Serrailler, Avrial, Eug. Gérardin, Lefrançais, Vermorel, Theisz, Ostyn, Varlin, Malon. Debout depuis quatre jours, sans avoir pris une minute de repos, ils vont de barricade en barricade, conduisant des renforts aux points faibles, de l’artillerie, des munitions, s’efforçant à solidariser la défense ; beaucoup, le fusil à la main, faisant le coup de feu côte à côte avec les gardes nationaux, certains, d’une bravoure superbe, comme Vermorel à cheval, alors qu’il n’y était monté de sa vie, ceint de l’écharpe rouge et s’offrant à toutes les balles.

À midi, ce jeudi, une réunion les rassemble tous. C’est Arnold qui en a demandé la convocation et qui explique que le secrétaire de Washburne, ambassadeur des États-Unis, est venu lui offrir de la part de ce dernier la médiation des Allemands. Delescluze, Vaillant montrent le néant de cette démarche, la combattent. Est-ce qu’on ne sait pas que, dès lundi, une convention a été conclue entre le gouvernement de Versailles et le prince de Saxe autorisant les troupes de l’ordre à emprunter la zone neutre ? Est-ce que tout Parisien, homme ou femme, qui a tenté, quittant la ville, de se réfugier dans les lignes prussiennes n’a pas été impitoyablement fusillé ? La majorité se prononce cependant favorablement et il est convenu qu’Arnold avec Delescluze, Vermorel et Vaillant se rendront à Vincennes, pour prendre langue avec les soi-disant médiateurs.

La délégation est partie. À 3 heures, elle arrive à la porte de Vincennes ; mais les fédérés de garde lui refusent le passage. Ils réclament un laisser-passer de la Sûreté. Un délégué revient à la mairie du XIe et rapporte l’ordre signé Ferré. Cependant le poste s’est ancré dans sa volonté de refus. Les fédérés croient à une défection, à une fuite, et la délégation impuissante à convaincre ces hommes exaspérés et têtus doit rentrer dans Paris.

Au XIe, la délégation trouve la situation empirée encore. Les barricades de la rue Magnan ont été forcées et on en rapporte Brunel, la cuisse traversée. Le Conservatoire des Arts-et-Métiers a été cerné et tout le haut du IIIe arrondissement est aux mains de l’ennemi qui bat le pied des barricades du Théâtre Déjazet et du boulevard Voltaire. De la Bastille, les nouvelles ne sont pas meilleures. On en ramène les blessés. Parmi eux, la princesse Dmitrieff qui soutient Frænckel plus grièvement frappé.