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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/483

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cachent : cela sans pitié, sans colère, avec la fermeté qu’un honnête homme met à accomplir son devoir. »

Et dans un autre numéro : « Il reste à M. Thiers une tâche importante : celle de purger Paris… Jamais occasion pareille ne se représentera pour guérir Paris de la gangrène morale qui le ronge depuis vingt ans. L’armée est entrée par la brèche, au milieu des barricades et des ruines fumantes ; donc les Parisiens doivent subir les lois de la guerre, si terribles qu’elles puissent être. Aujourd’hui la clémence serait de la démence. »

L’Indépendance Française : « Enfin !! Enfin, Paris est débarrassé de cette tourbe de bandits, de pillards, d’incendiaires, de voleurs qui l’infestaient depuis deux mois… Au moment où le souffle nous revient, où l’air rentre dans nos poumons flétris par l’impur courant de ces monstres odieux, un seul cri peut sortir de nos lèvres et ce cri sera celui de tous les Français : Pas de pité pour ces infâmes. Un seul châtiment peut expier de pareils crimes : La mort ! »

Il semblerait qu’on ne put pas aller plus loin dans l’ignoble. Une feuille y alla pourtant. Laquelle ? Le propre organe du gouvernement, le Journal Officiel, qui disait, qui avait dit déjà à l’heure où ces articles de sang paraissaient, en guise de suprême exhortation, sans doute, du Chef de l’Exécutif à l’armée : « Faites un peu ce que les grands peuples énergiques feraient en pareil cas. Pas de prisonniers. Si, dans le tas, il se trouve un honnête homme réellement entraîné de force, vous le verrez bien. Dans ce monde-là, un honnête homme se désigne par son auréole. Accordez aux braves soldats la liberté de venger leurs camarades, en faisant sur le théâtre, et dans la rage de l’action, ce que de sang-froid ils ne voudraient plus faire le lendemain : Feu ! »

L’armée cependant avait à peine besoin de ces excitations et de ces encouragements. Le troupeau, peut-être ; mais point les chefs. Les généraux qui commandaient connaissaient le métier, ayant gagné leurs premiers galons aux mitraillades de Juin et aux fusillades de Décembre. Ils étaient, — et comme eux, du reste, tous les autres officiers de moindre grade, leurs subordonnés, — les créatures de l’Empire, massacreurs par vocation et tradition, autant policiers que soldats. Cette origine voulait que Paris apparût à leurs yeux doublement coupable. Paris, parce que communeux, avait fait le 18 mars, mais Paris, parce que républicain, avait fait auparavant le 4 septembre, et les reîtres bonapartistes lui pardonnaient plus malaisément encore d’avoir culbuté le trône de Napoléon et d’Eugénie que d’avoir éconduit Thiers et sa bande. Si bien que c’est au moins autant au nom de l’Empire tombé, et qu’ils espèrent bientôt relevé, qu’au nom du gouvernement parlementaire de Versailles qu’ils marchent et qu’ils opèrent. Le chef de l’Exécutif a donc bien raison de placer sa confiance en ces bouchers de profession. Ce n’est pas eux qui s’embarrasseront des scrupules d’une vaine légalité. D’autant que leur ressentiment s’alimente à d’autres sources encore ; ils ont à demander compte aux Parisiens