Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/50

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même et livré, par la volonté débile du souverain, aux influences les plus contraires. Tandis qu’au nom de l’Empereur, Benedetti demandait tantôt les provinces rhénanes, tantôt la Belgique, l’Empereur songeait qu’il allait ainsi courir de grands risques et qu’il se désavouerait lui-même en combattant en Allemagne ou en chicanant cette politique des nationalités qu’il avait partiellement servie en Italie. Dès le mois de juin, le prince Napoléon avait signalé à l’Empereur cette contradiction et tout le péril de son attitude : « On doit s’attendre à ce que M. de Bismarck, si la France le menace dans le dos, pour sa dernière carte, se présente non plus en Prussien, mais en Allemand, et soulève les passions de toute l’Allemagne en proclamant la Constitution impériale du Parlement révolutionnaire de 1849. Dans quelle situation nous placera-t-il ainsi ? Comment justifierions-nous alors une guerre contre la Prusse et contre toute l’Allemagne ? Au nom de l’équilibre européen, l’Empereur marcherait contre un peuple qui ne veut rien nous prendre et qui veut seulement, dans ses limites propres, s’organiser à son gré. L’Empereur tirera-t-il l’épée pour une guerre contre le principe des nationalités, contre les idées libérales, contre la volonté de l’Allemagne de se donner une Constitution selon ses vœux ? En l’année 1792 aussi, la coalition se forma et le duc de Brunswick lança son fameux manifeste au nom de l’équilibre européen, et pour détruire la Constitution révolutionnaire que la France s’était donnée… Quiconque désire voir l’Empereur se faire en Europe le représentant de la réaction, européenne et cléricale, doit le pousser à une alliance avec le cadavre autrichien et à une guerre contre la Prusse, l’Allemagne et l’Italie. » L’Empereur n’entendit pas d’abord ce langage, et se laissa entraîner aux déplorables démarches de juillet et août. Mais, en septembre, il renonça à la politique des annexions et, par la circulaire du 16 décembre, signée par le ministre La Valette, il signifia au monde qu’il prenait décidément son parti de la croissance de la Prusse et de l’organisation de la nation allemande. Il constatait que la France n’était point affaiblie, qu’elle n’avait plus à redouter les coalitions européennes sous lesquelles au commencement du siècle elle avait succombé, que l’Union des trois grandes Cours du Nord était brisée, que l’Autriche, écartée par la Prusse de la Confédération allemande, restait une grande puissance qu’aucun intérêt désormais ne séparait de la France, que les États des bords du Rhin, protégés maintenant par la force de l’union allemande, n’auraient plus ni crainte ni défiance, et que des relations sympathiques pouvaient s’établir entre la France et eux : qu’ainsi la France pourrait continuer en paix son évolution nationale.

« La Prusse agrandie, libre désormais de toute solidarité, assure l’indépendance de l’Allemagne. La France n’en doit prendre aucun ombrage. Fière de son admirable unité, de sa nationalité indestructible, elle ne saurait combattre ou regretter l’œuvre d’assimilation qui vient de s’accomplir et subordonner à des sentiments jaloux les principes de nationalité qu’elle représente et professe à l’égard des peuples. Le sentiment national de l’Allemagne satisfait, ses inquié-