Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les prérogatives du Roi en réaliste, c’est-à-dire comme un moyen d’action vigoureuse au service d’un grand dessein. Ce qui est vrai aussi, c’est qu’avant tout il voulait assurer l’unité et la grandeur de l’Allemagne par l’hégémonie prussienne et que tout était subordonné par lui à cette entreprise ; il était prêt, si le succès de l’œuvre était à ce prix, à faire une part à la démocratie et à collaborer avec ce Parlement qu’il avait brutalisé naguère. Ce qui est vrai enfin, c’est qu’en se donnant au roi il l’avait lié. Il avait affronté pour lui les périls, les responsabilités redoutables d’un conflit violent et prolongé avec le Parlement. Il n’avait pas soutenu la lutte à demi, ou mollement, mais à fond. Par là il avait rendu impossible au roi comme à lui-même toute demi-mesure. Le Roi ne pouvait plus l’abandonner même sur d’autres questions, sans paraître désavouer sa politique intérieure. Dès lors où le Roi était obligé de le suivre dans la guerre quasi-révolutionnaire contre l’Autriche et d’accepter les moyens proposés par lui, c’est-à-dire l’appel préalable à la nation allemande par la convocation annoncée d’un Parlement populaire, ou bien il était obligé de retourner toute sa politique, et de passer au parti libéral. Mais ces libéraux étaient de plus en plus des « libéraux nationaux ». Ils voulaient la liberté de la Prusse pour mieux assurer l’unité allemande. Et d’avance M. de Bismarck leur avait rendu toute hésitation impossible.

Ils ne pouvaient pas, eux, ne pas maintenir la proposition faite par M. de Bismarck à la Diète de Francfort, de réviser le pacte fédéral et de resserrer les liens des États allemands par l’institution d’un Parlement populaire. Mais comme l’Autriche s’y refusait, c’était la guerre ; c’était donc la solution brutale et prompte du problème, telle que M. de Bismarck l’avait préparée.

Au point où il avait conduit les choses, M. de Bismarck pouvait encore être écarté ; sa politique ne pouvait plus l’être. Et sans doute il comptait bien que le Roi ne se livrerait pas aux libéraux, surtout s’il lui apparaissait que, même avec eux, il ne pouvait éviter la guerre contre l’Autriche. Mais il n’est pas interdit de penser qu’avant tout il songeait à la réussite de son dessein.

L’unité et la grandeur de l’Allemagne ne pouvaient être fondées, selon lui, que par la collaboration de la monarchie prussienne et de la nation allemande. Il avait tout fait pour que la monarchie, dans cette collaboration, gardât la haute main, et que la nation ne jouât qu’un rôle d’appoint. Tant pis pour le Roi si, en défaillant à l’heure décisive, il laissait à la nation le premier rôle ! De toute façon l’œuvre s’accomplissait.

Mais pourquoi donc M. de Bismarck faisait-il à M. Benedetti ces confidences hardies ? Celui-ci aurait pu, se souvenant de la politique intérieure de M. de Bismarck, ne pas prendre au sérieux l’appel projeté à la nation allemande, la convocation d’un Parlement populaire. Or, M. de Bismarck avait besoin que la France prit ce programme au sérieux.

Par là l’Empereur serait mis hors d’état d’intervenir contre l’œuvre prussienne, puisqu’elle apparaissait comme une grande œuvre nationale, comme