Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/153

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France un gouvernement stable qui ne pourrait être que la République. Sans doute, M. Casimir-Perier, orléaniste de la veille, ne pouvait faire sa proposition sans affirmer ses sentiments très conservateurs. L’essentiel était l’adhésion formelle du centre-gauche à la République, la proclamation de son intention de la constituer et de sortir d’un provisoire énervant, gros de périls. Malgré une tentative de M. Lambert de Sainte-Croix, véritablement inspirée par le duc de Broglie, le bénéfice de l’urgence fut accordé à la proposition Casimir-Perier. La majorité était bien chétive il est vrai, quarante vois seulement, mais elle disait que quelque chose de nouveau, d’inattendu, d’inespéré, venait de se produire.

Un second vote démontra que l’Assemblée, confirmant son impuissance si souvent manifestée, renonçait officiellement à la monarchie. Par assis et levé, à une écrasante majorité, elle refusa, dans la même séance, de renvoyer à la Commission des Trente une proposition — véritable pétard qui fit long feu — déposée par M. de la Rochefoucauld-Bisaccia. Elle portait en substance que la monarchie devenait le gouvernement de la France ; que le maréchal de Mac-Mahon prendrait le titre de lieutenant-général du royaume ; que les institutions politiques du royaume seraient réglées par l’accord du roi et de la nation.

L’apparition à la tribune d’un des « menins » très mûrs du duc d’Angoulême et d’une antique douairière retour de Coblentz n’aurait pas obtenu un tel succès de pitié et de ridicule.

Le sentiment de la population française avait été admirablement résumé, au cours des conspirations monarchistes, dans une éloquente lettre d’Alceste, le rédacteur masqué (Hyppolyte Castille) de la Vérité, devenue successivement, par suite des suppressions infligées par le gouverneur de Paris, la Constitution, le Corsaire, l’Avenir national ; devenue aussi, hélas ! sans crier gare, « Jérômiste ».

« Du vaste océan, écrivait Alceste en concluant, aux montagnes des Vosges, du Jura et des Alpes ; des noires Pyrénées aux Ardennes ; de Marseille aux sables de Dunkerque ; dans les villes, les hameaux ; parmi les plaines, les forêts et jusque sur le sein des mers ; sous le chaume, dans la mansarde, à l’atelier, à la caserne, dans les cabarets, les salons, partout où bat un cœur français, sous l’habit noir et sous la blouse ; partout où vit encore l’amour de la patrie et de la liberté, partout où la pensée du repos, du travail, partout où la raison pénètre ; partout où l’âme humaine se dégage et déploie ses ailes ; partout en France où le malheur a porté sa rude leçon ; partout où l’homme devenu citoyen, comprend enfin que ses droits, sa personne et ses biens sont menacés, un cri, le cri national, a retenti comme la diane de ce grand chasseur légendaire qui, depuis cent ans bientôt, sonne l’hallali des rois. À bas Chambord ! »

Les progrès sensibles, constants, faits par le parti républicain, depuis le mois de juillet 1871, progrès marqués par la conquête successive d’un nombre important de sièges législatifs, cantonaux et municipaux, n’avaient pas été