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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/200

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sourde de qui ne travaille pas, tout en affichant envers lui le respect. Il a peur du curé, le salue bas, l’accueille, mais le considère comme un paresseux et un heureux qui a sa récolte toute poussée, amassée dans les caisses de l’État ; il n’a qu’à l’y cueillir. Ce n’est qu’avec regret qu’il sort de son gousset les quelques piécettes pour payer de traditionnelles cérémonies religieuses. Ceci est pour expliquer la popularité qu’ont rencontrée la séparation de l’Église et de l’État, la suppression du budget des cultes. Cependant, peu à peu, des crises se sont produites qui ont profondément transformé l’état d’esprit des travailleurs des champs et même du petit propriétaire, si fortement attaché à son modeste domaine. En 1876, le pays agricole était notoirement hostile aux idées socialistes ; il en avait peur et était sous la hantise du « spectre rouge », des « communistes » et des « partageux ». Ce n’était pas sans raison que la presse conservatrice et la presse républicaine déclaraient aux propagandistes que s’ils allaient développer leurs idées parmi les paysans, ceux-ci les accueilleraient à coups de fourche. Tout cela est bien changé, puisque le programme collectiviste a des représentants agricoles au Parlement et que des municipalités rurales lui sont acquises !

De même que les événements politiques par leur matérialité ont, de 1871 à 1876, lentement entraîné la France agricole vers la République, de même les phénomènes économiques, avec leur matérialité bien plus effective, l’amènent lentement mais sûrement au socialisme. La République, malgré ses imperfections, les agitations qui se sont produites, a assuré la sécurité intérieure, une certaine liberté et la paix à l’extérieur ; le socialisme, pour ceux qu’affectent, que lèsent dans leurs intérêts les crises économiques, a le même caractère ; les travailleurs des champs, les petits propriétaires à la vie si laborieuse, si incertaine, dont les terres sont grevées de lourdes hypothèques, viennent peu à peu à lui, parce qu’il est une promesse, une garantie de travail et de sécurité.

Tandis qu’aux premières heures de la jeune République, les travailleurs agricoles restent dispersés, ne songent même pas à se grouper pour étudier leur situation et tenter de l’améliorer, les ouvriers des villes poursuivent la reconstitution de leurs groupements professionnels. Nous avons déjà vu que disloqués après la Révolution du 18 mars, où du reste ils ont joué un rôle très effacé, pour ainsi dire nul, voient reparaître une partie de leurs anciens adhérents et en venir de nouveaux. Ce mouvement a eu d’abord un caractère purement professionnel, mutualiste. Tout ce qui, de près ou de loin, peut toucher à la politique ou au socialisme en est soigneusement écarté.

Du reste, pendant quelques années encore, les syndicats vont rester sous le régime de la tolérance, puisque leur organisation n’est pas reconnue, que leur fonctionnement n’est pas réglé, garanti par les lois. Ils sont placés sous l’arbitraire de la police ; c’est le régime du bon plaisir. Cependant, par une action oblique, venue de l’extérieur, les idées socialistes y commencent leur pénétra-