Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/201

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tion, vivement combattues, tenues en défiance par de prudents ou insidieux meneurs qui veulent que ces groupements restent à la merci des partis politiques républicains.

Les délégués ouvriers à l’Exposition de Vienne avaient pris contact avec leurs camarades de travail des différents pays ; ils avaient pu constater que, dans les pays monarchiques, ils étaient parvenus à s’organiser sur le terrain corporatif et que des avantages appréciables en étaient résultés. En outre, ils s’étaient rencontrés avec des socialistes, avec des proscrits de la Commune et certains d’entr’eux avaient rapporté cette impression qu’il y avait autre chose à faire que l’action professionnelle. Certainement, celle-ci n’était pas inutile ; elle était même nécessaire pour grouper les travailleurs, mais il fallait étudier la série des problèmes dont l’ensemble constitue la question sociale. Il n’était pas possible que le prolétariat français, si longtemps à l’avant-garde, restât en arrière ; il avait été vaincu en 1871, mais il devait se réorganiser pour préparer son émancipation et prendre sur les vainqueurs une éclatante revanche. Aussi bien, la République, pour si conservatrice qu’elle put être, devait lui concéder quelques libertés et les élargir au fur et à mesure qu’elle se développerait ; à son développement, la classe ouvrière devait s’intéresser et collaborer par son intervention dans la bataille politique.

Enfin, les délégués ouvriers comme les chefs de l’industrie et du commerce français qui s’étaient rendus à Vienne (1873), à Philadelphie (1876) et avaient su étudier ces expositions internationales, s’étaient rendu compte des progrès réalisés dans l’Europe et en Amérique ; de la concurrence sérieuse qui en résultait déjà pour le commerce et l’industrie de notre pays. C’étaient de véritables voyages, non de plaisir, mais d’études qui venaient de s’effectuer et dans l’esprit des délégués ils avaient laissé une forte, féconde impression. Elle ne devait pas se faire immédiatement sentir.

Le premier Congrès ouvrier, qui se tint à Paris en 1876, ne s’occupa en réalité que de questions purement ouvrières ; il bannit de ses préoccupations la politique et le socialisme. Il voulut rester ouvrier. Du reste, un article du règlement portait : En vue d’éviter des abus que tout le monde devine, nul ne pourra prendre la parole s’il n’est ouvrier et recommandé par sa Chambre syndicale. Cette précaution avait été prise en vue d’éviter l’intervention d’éléments étrangers au monde ouvrier ; ceux qui conduisaient les syndicats, qui y avaient l’influence prépondérante, tout en affirmant leurs sentiments républicains, donnaient à entendre que, sous le régime de tolérance qui leur était fait, les syndicats ouvriers, à peine réorganisés, risquaient de se voir dissous s’ils sortaient de leur cadre purement professionnel pour faire des incursions trop hardies dans le domaine de la politique, s’ils se laissaient entraîner à des conflits tels que les grèves, surtout s’ils se laissaient pénétrer par le socialisme. Aussi ce Congrès se borna-t-il à étudier des questions de salaire, de conditions du travail, de coopération, mais à un point de vue tellement « sage », telle-