Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/237

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vives discussions ; à Marseille, par 73 voix contre 27, le Conseil adoptait comme but à assigner aux efforts du prolétariat : « La collectivité du sol, sous-sol, instruments de travail, matières premières, donnés à tous et rendus inaliénables, par la société, à qui ils doivent retourner ».

Ce ne fut pas sans avoir entendu des contradicteurs que les résolutions furent prises. Le citoyen Isidore Finance, ouvrier peintre, positiviste, que nous avons déjà trouvé participant à l’organisation du Congrès international interdit par la police en 1878, combattit avec conviction et talent la doctrine qui devait triompher, mais la cause de la propriété individuelle était perdue d’avance.

Toutes les agitations du dehors avaient une vive répercussion dans les milieux parlementaires : sur la question de l’amnistie le Cabinet allait se retirer et M. de Freycinet, le 29 décembre, prenait la présidence du Conseil ne conservant que MM. Jules Ferry, Lepère, Cochery ; M. Tirant était au Commerce : M. Cazol à la Justice ; l’amiral Jauréguiberry à la Marine ; le général Farre à la Guerre ; M. Magnin aux Finances ; M. Wilson avait le sous-secrétariat d’État des Finances ; M. Constans était sous-secrétaire d’État à l’Intérieur et M. Sadi-Carnot aux Travaux publics. Le programme de M. de Freycinet comportait l’épuration du personnel administratif, la réorganisation de la magistrature, la loi sur l’enseignement, des projets de loi sur la presse et le droit de réunion. Les lois proposées par M. Jules Ferry et adoptées par la Chambre des députés allaient venir en discussion au Sénat. M. Jules Simon devait les y combattre, ce qui ne surprit personne. Parmi toutes ces réformes en projets, une devait être réalisée et sa mise à exécution déchaînait une agitation cléricale comme on n’en avait pas vu durant les plus sombres jours de l’ordre moral, nous voulons parler des décrets dissolvant les congrégations non autorisées ; elles étaient au nombre de 500 environ. La Société de Jésus avait trois mois pour se dissoudre. Elle n’était admise à aucune demande d’autorisation. Les autres avaient un délai de trois mois pour faire les déclarations et remplir les formalités imposées. Ce fut une révolte générale du parti clérical, mais à l’exception de quelques points de France, partout une suprême indifférence l’accueillit et la loi reçut son application. Suivant une expression populaire, « les congrégations chassées par la porte ne devaient pas tarder à rentrer par la fenêtre ».

En février 1880, se produisit un incident assez sérieux ; un socialiste russe, Hartmann, était arrêté par la police française, sur l’indication et la demande du prince Orloff, ambassadeur de Russie. Il était accusé de complicité dans une tentative contre le tsar ; il y avait une demande d’extradition formelle. Au point de vue politique, l’extradition ne pouvait être accordée, conformément à tous les précédents. Pouvait-on, par un subterfuge policier et juridique à la fois, transformer en crime privé un crime politique ! Le président du Conseil trouvait dans une situation difficile, parce que des préoccupations de politique étrangère se mêlaient à l’incident ; déjà des hommes politiques tournaient leurs regards vers la Russie avec le secret espoir de trouver en elle une alliée.