Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/56

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Les curés terrorisaient littéralement les campagnes, où ils étaient les maîtres. Mais les excès de langage, les écarts de plume des orateurs et des écrivains des partis réactionnaires, loin de profiter à leur pitoyable cause, devaient la desservir ! On s’en aperçut bientôt, tout de suite même, lors des élections cantonales.

Les électeurs étaient convoqués pour le 8 octobre et il y avait 2.860 conseillers généraux à élire. Ces élections ont toujours eu et conservent, peut-être aujourd’hui moins qu’autrefois, un double caractère politique et local, celui-ci ayant généralement joué un rôle prépondérant. Situation de fortune, caractère personnel de l’homme, ces deux facteurs déterminant, plus fréquemment que le programme et le mérite, la popularité.

Pour la première fois, depuis la Révolution du 4 septembre, le suffrage universel allait se prononcer sur ce terrain particulier et les résultats en étaient attendus avec une certaine impatience.

Les candidats de tous les partis étaient en présence dans la grande majorité des cantons. Les monarchistes, après le manifeste du comte de Chambord, s’étaient de nouveaux divisés, orléanistes contre légitimistes purs ; les bonapartistes eux-mêmes, non découragés par leurs retentissants échecs en juillet, rentraient en ligne, le prince Jérôme Napoléon en tête, s’attaquant à la Corse, terre classique, et pour cause, du bonapartisme.

Quel rôle allait jouer la politique dans le renouvellement de ces Assemblées départementales auxquelles toute manifestation politique est précisément interdite ? Il paraissait impossible qu’elle n’y fut pas mêlée directement. Ne fallait-il pas que le pays, dans cette consultation, exprimât son sentiment sur des questions importantes, vitales, telles que la forme du gouvernement, encore en suspens, malgré le rôle de ce fœtus de constitution, la loi Rivet ; que le pouvoir constituant ou la dissolution de l’Assemblée, etc.. ?

Cependant, M. Gambetta qui était devenu le chef de la fraction la plus avancée du parti républicain à l’Assemblée, à laquelle il donnait le mot d’ordre, ayant pris sur elle, depuis sa rentrée, une influence considérable, s’attacha à préconiser toute abstention en matière de politique générale, pour s’attacher exclusivement à l’étude des questions administratives. Voici un passage caractéristique d’une lettre par lui adressée, en vue de sa publication, à un conseiller général républicain de l’Allier, le docteur Cornil : « Tout d’abord (il supposait qu’il était lui-même Conseiller général), je m’interdirais sévèrement toute ingérence sur le terrain de la politique générale. Nommé comme républicain, je ne croirais par devoir altérer la nature et la compétence du Conseil. Plus que jamais, je chercherais à séparer l’Administration de la politique. Je me garderais de confondre les attributions et de transformer les Conseils généraux en assemblées législatives au petit pied, je ne réclamerais donc pas la dissolution de l’Assemblée de Versailles. ni la proclamation de la République, ni toute autre mesure de politique générale. Je concentrerais tous mes efforts sur le terrain de l’Admi-