Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/58

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Les divisions s’annonçaient déjà plus qu’elles ne se marquaient, durant les vacances parlementaires, dans des réunions prudentes, dans l’attitude de quelques journaux, dans certains grands centres : Lyon, Marseille, Toulouse, etc.

Ce n’était pas encore le rassemblement après la défaite des forces décimées, éparses, fortement démoralisées, de ce qui avait été l’embryon d’un parti socialiste, c’en était le prélude bien vague, mais donnant déjà courage et espoir à ceux qui rêvaient une réorganisation et une rentrée en ligne. Des communications s’établissaient entre socialistes échappés au désastre, jeunes hommes émus aux récits de la bataille communaliste, au spectacle des misères prolétariennes, des cupidités patronales, de l’incapacité des dirigeants, et proscrits disséminés un peu partout en Europe.

Ce que n’aurait pu faire la propagande, si difficile à cette époque, la pitié, l’indignation allaient l’accomplir, surtout parmi ceux que leur cœur allait rapprocher du socialisme plus que le raisonnement.

Nous avons vu précédemment que les conseils de guerre accomplissaient avec une rigueur implacable la mission qui leur avait été confiée. Des condamnations impitoyables, des condamnations à mort avaient été prononcées. Pour la Commune de Paris, trois condamnations : Théophile Ferré, Rossel, le sergent Bourgeois ; pour la Commune de Marseille, Gaston Crémieux.

Allait-on exécuter ces quatre hommes, tous jeunes, alors que l’ordre était rétabli, alors que tant de sang avait été versé ? Quel usage allait faire la Commission des grâces des redoutables pouvoirs qui lui avaient été conférés ? Les vainqueurs allaient-ils enfin entrer, par une manifestation évidente, par un acte d’humanité, dans cette voie de l’apaisement dont ils avaient si pompeusement et si fréquemment parlé à la tribune, encore à la veille même de la prorogation de l’Assemblée.

Sans doute la figure de Ferré était-elle, surtout après les séances du conseil de guerre aux cours desquelles avait été produit le fameux faux : « flambez finances ! » peu de nature à émouvoir l’opinion encore sous le coup des légendes versaillaises ; mais il y avait Rossel, l’officier du génie échappé de Metz après la monstrueuse capitulation ; il avait essayé de soulever l’année contre Bazaine ; il avait intelligemment servi la défense nationale au camp de Nevers ; son rôle durant la Commune avait été divers, peu politique, surtout militaire ; le sergent Bourgeois avait suivi le mouvement révolutionnaire, il est vrai, violé les lois militaires, mais il y avait tant de royalistes et de bonapartistes à Versailles qu’il avait cru défendre la République aux côtés des républicains parisiens ; enfin. Gaston Crémieux, avocat payait sa participation au mouvement de Marseille, dont la durée avait été si brève, la répression si rapide, si aisée.

Allait-on les fusiller, ces quatre jeune hommes ? Un courant d’opinion publique se dessina, très fort, en leur faveur. De tous côtés leur grâce était réclamée. Ce fut un mouvement unanime pour ainsi dire, dans la presse