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onze furent donnés a des républicains, dont M. Challemel-Lacour ; un seul bonapartiste fut élu, M. Levert.

Ce fut dès les premières séances de janvier que M. Thiers put constater que la « lune de miel était finie ». Il est vrai de dire qu’il s’obstina à soutenir des idées vieillottes, ce qui le conduisit à la première crise sérieuse dont ne surent pas profiter ses adversaires ; il est vrai que l’attitude du pays n’avait pas été sans les impressionner vivement.

Après une escarmouche assez sérieuse à propos du projet de loi tendant à autoriser la Banque de France à augmenter de 100 millions l’émission de ses billets et qui n’avait eu sa solution que le 29 décembre, se posait la grave question des impôts nécessités par les charges nouvelles et lourdes auxquelles il importait de parer.

Plusieurs systèmes s’étaient trouvés en présence : application de centimes additionnels, c’est-à-dire conservation pure et simple des anciens impôts directs ; impôt sur le revenu ; relèvement des droits de douanes ; impôt sur les matières premières. Ce dernier système avait les préférences de M. Thiers ; il s’en était déjà expliqué dans son message du 7 décembre et, naturellement, il reliait cette solution à ses vues en matière de relations économiques avec l’étranger. Pour tout dire, M. Thiers était protectionniste, hostile par suite aux traités de commerce qui avaient inauguré en France, depuis 1800, le régime libre-échangiste. Aussi fallait-il considérer comme la conclusion logique de ses vues économiques les deux propositions faites par le cabinet à l’Assemblée : établissement de droits sur les matières premières, relèvement des taxes douanières.

Chacun s’évertuant, avec un patriotisme hautement désintéressé, à contribuer le moins possible aux charges qui pesaient sur la France, un grand courant d’opinion se manifesta dans le monde industriel et commercial et ce mouvement ne fut pas sans exercer une grande, déterminante influence sur l’Assemblée qui, cependant, dans sa majorité, se ralliait au régime protectionniste. De débats en débats, deux seuls systèmes étaient restés en concurrence : l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les matières premières.

L’impôt sur le revenu qui, trente-six ans après avoir fait couler tant d’encre, suscite de si nombreuses et si sérieuses polémiques, même dans les rangs du pays républicain ; dont la discussion, tant de fois amorcée, a toujours été ajournée, avait été débattu durant six séances à la fin de l’année 1871. Voici ce qu’en a écrit M. G. Hanoteaux dans son Histoire de la France contemporaine (t. I., page 383) : « La proposition émanait d’hommes d’une compétence incontestable : MM. Volowski, Henri Germain, Léonce de Lavergne. Ils insistaient sur les avantages d’un impôt contre lequel assurément il existe, en France, un fort préjugé, disaient-ils, mais qui est appliqué en Angleterre, aux États-Unis, en Autriche, en Suisse, en Italie ; impôt juste, car il fait contribuer tous les citoyens proportionnellement à leurs ressources ;