Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/67

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impôt conforme aux principes économiques, puisqu’il remplace d’autres impôts dont le moindre inconvénient est de surcharger soit la classe pauvre, soit la classe productive et, avec elle, le travail national.

« Les auteurs de la proposition reconnaissaient, d’ailleurs, que la perception de l’impôt présenterait de réelles difficultés ; mais ils se targuaient d’avoir obvié à cette objection par leur projet de cédules. Cependant, pour celles des cédules qui visaient les revenus du commerce et des professions, ils étaient bien obligés d’en revenir au système de la déclaration et de la taxation ».

L’impôt sur le revenu avait été repoussé à la suite d’une intervention pressante de M. Thiers qui avait produit une profonde impression. Le succès du chef du pouvoir exécutif, sur ce point, eût été complet s’il n’eût pas parlé de « l’essai loyal de la République » et s’il n’eût affirmé que c’était pour lui un « souci continuel ». Ces paroles avaient fortement froissé les droites, devenues plus pointilleuses que jamais.

Le 10 janvier s’ouvrit la discussion sur le projet d’impôt sur les matières premières, projet auquel était étroitement reliée la question de protectionnisme ou de libre-échange. Durant neuf jours elle se prolongea : elle devait avoir une issue inattendue : la démission de M. Thiers.

En effet, le président de la République avait posé, en termes fort catégoriques, la question de confiance. M. Féray. cependant un partisan ardent de M. Thiers, déposa une résolution ainsi conçue : « L’Assemblée nationale, réservant le principe d’un impôt sur les matières premières, décide qu’une Commission de quinze membres examinera les tarifs proposés et les questions soulevées par cet impôt, auquel elle n’aura recours qu’en cas d’impossibilité d’aligner autrement le budget ».

Mise en présence d’un problème économique nettement posé, l’Assemblée, oubliant ses divisions politiques, les nécessités financières, — tant les intérêts matériels priment tout, — se divisa en deux camps : libre-échangiste et protectionniste ; dans chacun d’eux les divers partis se trouvèrent mêlés, confondus, et la résolution Féray fut adoptée par 367 voix contre 297. Dès la clôture de la séance, le cabinet était démissionnaire, et le lendemain M. Thiers adressait à M. Jules Grévy, président de l’Assemblée, sa démission, réclamant qu’il fût pourvu le plus rapidement possible à son remplacement.

Cet acte, qui provoqua une très vive émotion, ouvrait une crise grave : elle aurait pu entraîner des conséquences dangereuses si la Droite avait osé en profiter. Ce fut l’énorme orléaniste, M. Batbie, qui, le lendemain, au nom de toutes les réactions coalisées, présenta, en concurrence avec celui de M. Desseilligny, organe du Centre-Gauche, un ordre du jour de retraite piteuse. Il fut voté à l’unanimité moins huit voix, et porté à M. Thiers par le Bureau que suivirent en cortège plus de deux cents députés. Cette démarche, qui pansait la blessure d’amour-propre reçue la veille, décida le chef du pouvoir exécutif à rester à son poste ; il eut été désolé de le quitter. L’ordre du jour