Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/73

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ment par des désastres militaires mettant la France de la Révolution et de la libre-pensée à deux doigts de sa ruine.

Sans doute la majorité de ceux qui étaient pris par le courant ou s’y engageaient de propos délibéré, avaient peut-être plus dans le cœur que dans le cerveau ce sentiment qu’une transformation sociale profonde peut seule alléger, en attendant de les faire disparaître, les injustices, les misères sous lesquelles est courbée, écrasée la classe qui produit toute la richesse ; il n’en pouvait être guère autrement après l’Année terrible. C’était le lent, pénible groupement des jeunes qui s’opérait : leur contact avec les vétérans du socialisme, la réflexion, l’étude, l’observation, devaient faire leur éducation et les préparer à l’action militante dont les résultats devaient affirmer le renouveau socialiste.

Sur plusieurs points, dans les grandes villes plus particulièrement, des groupements se formaient et s’affirmaient. Il y avait de quoi donner à réfléchir à ceux qui croyaient qu’après la Semaine de Mai, soulignée périodiquement par des exécutions, « l’ordre » était à jamais assuré.

Or, déjà, de ces groupements qui allaient se fractionner, naturellement s’épurer, quelque chose se dégageait : la renaissance de l’Internationale en France, de l’Internationale, cauchemar, terreur de la bourgeoisie française, dont on annonçait le prochain Congrès à La Haye.

Il fallait, à tout prix, enrayer le mal et le gouvernement s’y employait. M. Jules Favre en entretenait les chancelleries étrangères, espérant y nouer une entente internationale conservatrice contre le socialisme ; il ne devait y trouver qu’un accueil généralement dédaigneux. M. Dufaure, l’homme d’État de toutes les besognes rétrogrades et répressives, devait déposer un projet de loi et, en effet, il le déposa. M. Sacase en fut le rapporteur et la discussion se déroula en mars pour se clôturer le 13 par le vote d’une loi inquisitoriale, que ses plus chauds partisans eux-mêmes trouvèrent excessive et mal rédigée. Elle fut promulguée le 23 du même mois ; elle déférait les futurs prévenus aux tribunaux correctionnels et elle devait bientôt être rigoureusement appliquée.

Il nous est matériellement impossible d’en résumer les débats et d’en donner le texte complet. Nous voulons nous borner à citer un extrait du discours que prononça Louis Blanc, discours fort souvent interrompu par des injures et de haineuses sottises :

« Ce que je dénonce dans le projet de loi, c’est qu’il n’incrimine aucune tentative clairement définie, c’est qu’il n’incrimine aucun acte clairement déterminé, et seulement punissable lorsqu’il est prouvé. Ce qu’il poursuit, ce qu’il frappe dans les affiliés à l’Internationale, c’est leur adhésion à de certaines doctrines. Il crée, chose tout à fait nouvelle, un délit intellectuel : il ouvre la porte à l’invasion de la législation criminelle dans le domaine de l’esprit. (Applaudissements à gauche.)

« Et ce qui le prouve, c’est qu’il semble ériger en crimes les atteintes dirigées par voie d’association internationale, contre quoi, messieurs ?… Contre