Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/77

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Quelques anciens socialistes, revenus de l’émoi légitime causé par la récente défaite, abandonnaient le découragement, stimulés du reste par les appels des camarades en exil, dont lettres et brochures pénétraient, se répandaient, se communiquaient en cachette ; c’était surtout parmi la jeunesse que l’agitation se produisait ; parmi la jeunesse ouvrière ayant peu de loisirs, peu de moyens pour s’instruire ; parmi la jeunesse des écoles, plus indépendante, turbulente par tradition, républicaine par raison, surtout par enthousiasme ; souvent généreuse. Dans quelques villes, plus particulièrement dans le Midi et dans le Sud-Ouest, s’était formée, dès 1872, une Association républicaine des écoles ; elle avait arboré un programme qui paraissait avancé, d’un « rouge » vibrant et séduisant. On se réunissait, on discutait et des discussions, peu à peu, se dégageait une orientation. Au fur à mesure que se dégageait cette orientation, les adhérents s’égrenaient tout naturellement, chacun se classant dans la fraction républicaine conforme à ses intérêts de classe, son tempérament, ses vues particulières, ses ambitions ou ses espoirs désintéressés. Et l’émiettement sera pour ainsi dire complet le jour où se posera la question d’affiliation à l’Internationale qui, avant la loi comme après, lentement se réorganisait, pour une brève durée. L’éclipse ne sera que momentanée ; une trentaine d’années après, sur d’autres bases, le prolétariat aura reconstitué, par son avant-garde consciente, son pacte international de solidarité désormais intangible.

Une grande activité avait été déployée pour cette réorganisation de l’Internationale, car un grand Congrès devait être tenu à La Haye et que là devait se livrer, après une escarmouche au Congrès de 1869, une grande bataille entre les partisans de Karl Marx et ceux de Bakounine. Des sections avaient été fondées ou réorganisées un peu partout, parfois sans assez de prudence. Nous retrouverons ces sections aux prises avec la nouvelle loi et les juges correctionnels, au cours des procès qui se déroulèrent en 1873.

La grande masse du prolétariat français allait rester indifférente, défiante ou hostile envers ces tentatives qui furent, cependant, assez significatives pour attirer l’attention des conservateurs de droite ou de gauche.

Ajoutons, néanmoins, que le souci de défendre la République, de l’asseoir comme définitive forme de gouvernement fut assez profond, assez fort pour grouper fortement toutes les fractions du parti républicain et leur permettre soit une défensive énergique, soit une offensive irrésistible chaque fois que des occasions se présentaient. Elles étaient presque quotidiennes.

Entre les questions qui passionnaient l’opinion, deux se présentaient : le service militaire pour la réorganisation d’une armée nombreuse et forte. Le système qui jusqu’à la guerre avait prévalu et avait surtout fourni des prétoriens capables de défendra le pouvoir, mais incapables de défendre le pays — il venait d’en être fait une expérience cruelle — était définitivement condamné. D’autre part, il paraissait inadmissible qu’un citoyen valide put se soustraire au