Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/78

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devoir de porter les armes en temps de paix comme en temps de guerre, et le régime de l’obligation pour tous paraissait le seul équitable. L’Allemagne monarchique venait de démontrer les avantages de ce recrutement.

L’autre question était celle de l’instruction. On avait été battu, disait-on — il faut bien chercher des excuses aux défaites, quand on ne veut pas en découvrir les véritables causes — on avait été battu parce que le peuple n’était pas assez instruit, parce qu’il comptait un grand nombre d’illettrés. « C’est l’instituteur allemand qui a préparé les victoires », telle était la formule courante. Il y avait une bonne part de vérité dans cette affirmation ; ce n’était pas toute la vérité, cependant, car malgré toute leur ignorance, officiers et soldats français, tant en Alsace que sous Metz, avaient vu de très près la victoire souriante déjà.

Mais, admettant la thèse, il était aisé de répondre à la bourgeoisie française que si l’ignorance du peuple et l’incomplète instruction des chefs militaires étaient pour une grande part dans les désastres essuyés, c’était à elle qu’en remontait directement la lourde responsabilité, puisque c’était elle qui, possédant et gouvernant, n’avait donné au peuple l’instruction, pas plus sous Louis-Philippe que sous la seconde République et sous l’Empire.

Elle n’allait, du reste, se rendre à l’évidence que quelques années plus tard et organiser, après quelles longues et passionnés luttes, l’instruction primaire gratuite, laïque, obligatoire, mais avec un programme insuffisant, incomplet ; encore comptait-elle en bénéficier pour le recrutement de bons soldats et de meilleurs ouvriers !

Pour le moment, dans l’opinion où se dessinait un mouvement non antireligieux, mais anticlérical, parce que les prêtres se mêlaient trop ouvertement à la politique, ce que l’on réclamait avec le plus d’ardeur c’était l’enseignement laïque, et ce mouvement se manifestait un peu partout à la fois. C’était de Toulon qu’était pour ainsi dire parti le signal, puisque déjà le 6 août 1871 le conseil municipal de cette ville avait décidé qu’à dater du 1er octobre suivant, c’est-à-dire de la rentrée des classes, toutes les écoles primaires seraient exclusivement confiées à des instituteurs et institutrices laïques. Le préfet du Var avait approuvé la délibération, mais des religieuses touchées directement par cette délibération s’étaient pourvues devant le Conseil d’État. M. Jules Simon, le républicain ancien membre du gouvernement de la Défense nationale, dont l’évêque Dupanloup devait dire : « Cet homme sera cardinal avant moi », était ministre de l’instruction publique : pour faire sa cour aux droites il prit toutes les dispositions et exécuta toutes les manœuvres en vue de faire annuler et la délibération du conseil municipal et l’arrêté approbatif du préfet. Il y réussit, comme pour une délibération analogue du conseil municipal de Roanne !

Ces mesures ne devaient pas arrêter le mouvement, au contraire. La France commençait à avoir peur du gouvernement des curés.

Les vacances de l’Assemblée se terminèrent parmi ces agitations diverses.