Aller au contenu

Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lueur d'orgueil. Ce prestige va s'effacer, sans retour. Le soir, quand les hautes Alpes s'éclairent d'un reflet du soleil presque couché, c'est une illumination magique ; sur les sommets de neige et de glace, c'est comme une renaissance surnaturelle du jour qui finit. Mais cette fausse lueur de vie se décolore, ce splendide mensonge s'éteint à son tour ; les colossales montagnes, gagnées par le froid de la nuit, pâlissent étrangement, et les cimes livides et grises ne sont plus bientôt dans le soir deux fois triste que des fronts blêmis par la mort. Est-ce donc le reflet mort d'une lumière morte qui guidera la France vivante en son chemin ?

Ce qui est étrange, c'est que ceux-là même, comme le capitaine Gilbert, qui mettent la France en garde contre la « prussomanie », contre l'admiration servile et le plagiat de l'Allemagne militaire, détournent la France à demi de sa tradition propre. Par le napoléonisme est créée une équivoque française qui ressemble par bien des traits à l'équivoque de l'Allemagne impériale. L'empire napoléonien et l'empire bismarckien ont ceci de commun qu'ils ne sont pas fondés nettement sur la pure idée du droit, pas plus le droit divin que le droit populaire. Les Hohenzollern peuvent bien invoquer aux heures mystiques leur mission divine et l'ancienneté de leur race prédestinée. Mais c'est dans la lumière crue du monde moderne que Frédéric II a créé leur grandeur. Ils n'ont pu d'ailleurs réaliser la grande unité allemande et prendre la couronne d'Empire qu'en flattant et captant à leur profit la force révolutionnaire de la démocratie. Mais, pour eux comme pour Napoléon, elle n'est pas une idée ; elle est un fait qu'on utilise, qu'on exploite et qu'on limite. M. de Bismarck disait : « La Révolution est une force », et c'est en promettant à l'Allemagne une représentation nationale, issue du suffrage universel, qu'il a groupé autour de lui et de la dynastie prussienne les peuples allemands. M. de Bulow disait récemment, au Reichstag, que dans la chambre où est mort