Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/110

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et analysé les effets admirables que Napoléon a obtenus de l'offensive rapide, concentrée et hardie, il conclut cependant à la supériorité de la défensive. C'est sans doute qu'il a été obsédé par les souvenirs de la campagne de Russie. Et il est vrai qu'elle ne pouvait manquer d'agir fortement sur son esprit. Il avait combattu dans l'armée russe. Lui, général prussien, indigné de la lâcheté de la monarchie prussienne qui subissait l'alliance déshonorante de Napoléon et lui fournissait un corps de troupes pour la grande armée, il avait pris du service dans l'état-major russe. Par patriotisme prussien, il combattait contre les soldats de la Prusse, et il dit en quelques mots poignants et sobres, dans son commentaire sur la guerre de Russie, quelle fut son émotion quand il se heurta sur le champ de bataille à une armée couverte du drapeau de son roi, du drapeau de sa patrie et où combattait son propre frère. Tragique complication des choses humaines qui défient les formules sommaires et les jugements abstraits ! Il avait vu de ses yeux, dans l'immense et morne défensive russe, sombrer la fortune de Napoléon. Mais l'Espagne n'avait-elle pas montré aussi ce que peut, contre le génie offensif le plus audacieux et le plus habile, le génie défensif d'un peuple qui veut rester indépendant. En vérité, ces leçons n'étaient point négligeables, et il est singulier que la nouvelle école française de l'offensive les élimine arbitrairement et, au moment même où elle invoque Clausewitz, ne retienne qu'une partie de ses formules. L'effort du théoricien allemand n'est pas d'imposer aux esprits un plan tout fait, mais de dégager de la complexité des faits des règles d'action qui permettent d'obtenir, dans une hypothèse donnée, le plus grand effet possible. Autant il met en lumière l'efficacité de l'offensive et les moyens de la porter au maximum, autant il s'élève contre le parti pris théorique et abstrait de l'offensive, qui semble hanter de nouveau beaucoup de nos théoriciens militaire séduits par une fausse hardiesse de pensée. Dans son étude sur la campagne de 1796 en Italie, il condamne le plan de l'Autriche abandonnant