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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/115

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leur permettrait d'écraser le gros des forces françaises. Ce fut pour Napoléon le désastre de Leipzig. Comment l'esprit de Clausewitz ne serait-il pas frappé de la puissance de la défensive, entendue au sens que j'ai précisé ? Quand Napoléon, le grand envahisseur, fut à son tour envahi, quand il fut réduit à disputer le sol de la France à ces armées européennes que si longtemps il avait dispersées sur les aires lointaines comme la paille au vent, sa manœuvre admirable et désespérée fut plutôt, si je ne me trompe, comme un prolongement paradoxal de sa tactique offensive que l'organisation sérieuse et efficace de la défensive. Pour organiser vraiment la défense nationale il faut avoir du temps devant soi et une nation derrière soi. La nation était surmenée. Il en avait épuisé les forces. Il en avait épuisé la confiance. Elle ne pouvait plus lui faire livraison d'hommes ; elle ne voulait pas lui faire crédit de temps, et chaque jour, pendant qu'avec ce qui lui restait d'armées, il multipliait ses manuvres éblouissantes contre l'envahisseur, il était à la merci d'un mouvement politique. Pour qu'il pût opérer cette sorte de double retraite dans le temps et dans l'espace qui caractérisait, selon Clausewitz, la première période de la tactique défensive, pour qu'il pût concentrer ses forces sur une ligne assez reculée et se ménager ainsi le temps d'organiser des formations militaires nouvelles, il aurait fallu qu'il fût assuré de la résistance prolongée de Paris ; mais Paris était épuisé et incertain comme la France. Aussi, Napoléon, quoique réduit à se défendre, ne put passer vraiment de l'offensive à la défensive ; sur la table de jeu, secouée par le destin et à demi renversée sur le joueur, il continua la partie qu'il avait jouée dans toute l'Europe. Elle était, malgré son génie et de passagers retours de chance, perdue d'avance.

Mais cet échec fatal d'une défensive illusoire et paradoxale, dont les conditions essentielles faisaient défaut, ne prouve rien contre l'excellence de la défensive entendue comme le prélude nécessaire d'une formidable offensive. Il est déplorable que nos théoriciens militaires, ceux même