Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/114

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C'est dans le même esprit que, quelques jours après, le 20 mai, à Bautzen, les alliés, le général russe Barclay, le général prussien Blücher évitent de jouer la partie suprême. Dès que la manœuvre de l'ennemi se dessine redoutable, ils aiment mieux se replier encore que de faire courir à la patrie un trop gros risque. Napoléon menaçait l'aile droite de l'armée alliée dans l'espoir qu'elle dégarnirait son centre et qu'il pourrait porter là le coup décisif, ouvrir un chemin à la foudre. Courageusement, les alliés se dérobent encore à l'épreuve.

Depuis l'ouverture de la campagne, explique Clausewitz, les alliés, s'inspirant de motifs politiques, avaient pris pour principe de ne jamais s'exposer à une défaite décisive, préférant rompre le combat avant son dénouement. Ici c'était le cas plus que jamais, le combat, dans son ensemble, avait pris déjà une mauvaise tournure. Et, précisément, les raisons qui ne permettaient pas d'espérer un résultat décisif de la reprise du terrain par le général Blücher, mais qui faisaient craindre pour son corps une situation fort dangereuse, déterminèrent le quartier général à rompre le combat entre deux heures et quatre heures de l'après-midi et à ordonner la retraite. Dans ces conditions, cette retraite s'effectua en deux colonnes dans un ordre parfait.

Tout était bénéfice pour les alliés dans cette défensive prudente. Ils habituaient leurs soldats, peu à peu, au voisinage et au contact du dieu de la guerre. Ils enlevaient à Napoléon le moyen de relever soudain, dans l'esprit de l'Europe et de la France même sa fortune compromise. Il ne pouvait décharger sa foudre, et les éclairs qu'il ne pouvait lancer lui brûlaient les mains. Enfin, peu à peu, toutes les forces disponibles des alliés et de l'Allemagne même se mobilisaient, se concentraient, et le rapport des forces se modifiait tous les jours au détriment de l'envahisseur. L'heure approchait où aux 300 000 hommes que Napoléon avait ramassés par un effort suprême, et qui comptaient au moins un tiers de jeunes recrues appelées en hâte de France, les alliés opposeraient 400 000 hommes. Alors, ils prirent l'offensive à leur tour, je veux dire qu'ils cherchèrent l'engagement de fond, la bataille décisive qui