Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/135

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sent aussi vaines que les grandes cohues asiatiques, tantôt, au contraire, et presque dans la même phrase, il se félicite que toute la nation, y compris l’armée territoriale, soit portée aux frontières dès le premier jour, et il assigne à chacun des éléments de cette masse colossale des fonctions si précises et si exactement complémentaires les unes des autres que cette masse même forme vraiment une unité organique, où toutes les forces sont combinées et équilibrées. Tantôt il paraît regretter la petite, sèche et efficace armée de Marathon, tantôt il semble qu’il prend plaisir à débrouiller, à discipliner, à organiser pour des taches distinctes et solidaires l’énorme chaos mouvant de l’armée de Xerxès. A vrai dire, ce n’est pas la réserve qu’il exclut, en temps de guerre, de l’armée « opérative ». C’est la territoriale, représentée par ses classes les plus jeunes qu’il destine aux services de l’arrière. Mais quel terrible retranchement il fait subir à l’armée de marche ! Il écrivait, sous le régime de la loi de 1872, qu’il gardait les hommes cinq ans dans l’active, quatre ans dans la réserve, cinq ans dans la territoriale et six ans dans la réserve de l’armée territoriale. Ainsi les hommes sont décrétés par lui, à partir de vingt-neuf ans, incapables de fournir un service de premier rang, un service de combat. La nation armée ne va donc à l’ennemi qu’amputée déjà d’une grande partie de sa force. Et par quelle inconscience Gilbert peut-il assigner à ces hommes, mis en quelque sorte hors de combat, cette tâche si difficile de suivre 1 armée pour assurer par des retranchements mobiles sa ligne d étapes ? Très souvent les hommes qui font cette besogne peuvent être soumis, par la manœuvre soudaine de l’adversaire, à de rudes assauts. Comment, en outre, pourront-ils soutenir de leurs travaux improvisés la rapide offensive de l’armée s’ils ne sont pas capables eux-mêmes de marches forcées, de travaux intenses et de combats vigoureux. Comment pourront-ils soutenir la retraite d’une armée, contrainte soudain de se replier, s’ils ne sont pas tout près d’elle, s’ils n’ont pas en tout cas mesuré leur marche sur la sienne ?