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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/14

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cherche dans les pluss douloureuses épreuves et les plus mortifiantes erreurs une leçon et un renouvellement, ils ont certainement conclu qu'ils devaient garder l'intelligence ouverte et la conscience libre. Le jour où l'existence nationale serait en jeu, ils auraient à conduire à la bataille des millions de prolétaires ; quelle faiblesse et quelle tristesse si entre eux et ces hommes il y a comme un divorce moral, un irréparable malentendu de la conscience et de la pensée !

Le ressort de confiance qui doit soulever à la fois toutes les âmes et leur donner un incomparable élan serait brisé ou faussé. Des chefs aux soldats, des soldats aux chefs, il doit y avoir, sous le regard obscur de la mort qui plane, échange de vie, communauté d'idéal, unité d'âme. Si les officiers de France fermaient les yeux à ce grand fait du socialisme national et international, s'ils ne démêlaient pas, s'ils ne ressentaient pas ce qu'il y a de généreux dans l'espérance ouvrière, la force morale, c'est-à-dire la force défensive de la nation serait divisée contre elle-même ; et 1a nation armée ne serait plus qu'une pauvre machine disloquée et impuissante. Il me paraît que beaucoup d'officiers, même parmi les meilleurs, même parmi ceux qui s'efforcent le mieux de comprendre notre temps, ne portent qu'un jugement superficiel sur le mouvement d'idées, sur le drame de conscience qui se développe dans le prolétariat. Ainsi M. le capitaine Jibé, dans le livre d'ailleurs utile et attachant qu'il a publié sur l'Armée nouvelle, répète sans cesse que l'armée, comme tout organisme, doit se prêter à la loi supérieure, à la loi « éternelle » de l'évolution. Il constate même que

… le monde et surtout la vieille Europe sont travaillés par un mouvement social des plus puissants,

et il veut que l'armée n'y reste pas étrangère ; elle doit s'y intéresser

… étant donné le rôle d'éducateur que l'on exige d'elle actuellement.