Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/13

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de la France l'évidence du droit. Or, au moment où la France prend à la conférence de La Haye, très mollement, la direction de la politique d'arbitrage, au moment où elle propose que tout pays, à la veille d'un conflit, saisisse du conflit la conférence de La Haye, la France prend l'engagement moral de pratiquer cette politique. Elle n'y saurait manquer sans scandale. Et les travailleurs de France n'abusent pas vraiment quand ils adjurent la France de ne pas déchirer étourdiment et cruellement le lien de solidarité qui les lie aux ouvriers de tous les pays. Ils l'adjurent de rester fidèle à ce qu'il y a de meilleur en elle, et en protégeant son idéal le plus haut contre la surprise des passions ou la manoeuvre d'intérêts subalternes, ils servent la patrie comme le prolétariat.

Ce qu'ils demandent encore, ce qu'ils ont le droit et le devoir de demander, c'est que la nation organise sa force militaire sans aucune préoccupation de classe ou de caste, sans autre souci que celui de la défense nationale elle-même.

J'ose prier les officiers eux-mêmes de méditer sans passion et sans préjugé l'idée générale du socialisme et l'application qu'il en fait à l'institution militaire. Il serait funeste, pour eux, j'entends pour la vie de leur esprit, de céder aveuglément à des préventions haineuses contre des hommes qu'ils ne connaissent pas, contre des systèmes de pensée qui heurtent d'abord leurs habitudes. Ils ontfait l'épreuve, dans le drame de l'Affaire Dreyfus, du péril de ces malentendus. Ils ont cru, sur la foi de quelques chefs compromis, sauver l'armée en luttant contre le vrai et le juste. Je ne sais quelle est la conclusion secrète qu'ils ont tirée de cette tragédie. Le pire serait que par une gageure insensée, ils aient persévéré silencieusement dans l'erreur première, ou que par dégoût d'un drame où leur conscience et leur raison furent engagées si à faux, ils en aient détourné leur pensée sans avoir déduit les conséquences nécessaires. Mais s'ils ont ce haut courage qui