Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/18

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vague, quelle est cette idée. C'est le signe du désarroi de pensée et de l'impuissance intellectuelle à laquelle se condamnent tous ceux qui se détournent de la seule grande idée qui s'élabore en ce moment dans les sociétés humaines et qui puisse passionner les énergies françaises. Ils prétendent nous fortifier avec un cordial qu'ils n'ont pas. Ils nous disent : Regardez plus haut, et eux-mêmes ne voient que le vide. Car enfin, puisque nous avons la bonne fortune de recevoir les conseils d'un homme qui est une des plus hautes autorités techniques et morales de l'armée d'aujourd'hui, quelle est la foi dont il prétend nous animer, quelle est l'idée qui doit, sur ses larges ailes déployées, nous porter à la victoire ? Si nécessaire et sacrée que soit pour M. le général Langlois la patrie, ce n'est pas la seule idée de patrie, ce n'est pas, si l'on me passe le mot, l'idée brute de patrie qui suffit, selon lui, à exalter les âmes et à leur donner pour le combat la force d'un torrent qui tombe de haut. Pour que les hommes donnent tout leur effort et brisent par un élan supérieur les forces de l'adversaire, il ne suffit pas qu'ils appartiennent à un groupe historique et qu'ils s'appuient à une tradition même glorieuse. À en juger par les exemples mêmes que donne M. le général Langlois, il faut qu'une surexcitation, je veux dire une excitation très haute, développe toutes leurs énergies latentes. Il faut qu'en défendant la patrie traditionnelle, la patrie constituée, ils aient conscience de servir un dessein très vaste, de préparer un grand avenir ou de puissance ou de justice. Il faut qu'une ivresse ou de gloire, on de domination, on de liberté, ou de fanatisme, mette les âmes hors de l'ordre commun et renverse à leur profit l'habituel équilibre des forces.

La patrie telle qu'elle est donnée par l'histoire est donc le cadre et le point d'appui ; elle n'est pas à elle seule la force inspiratrice de la victoire. C'est la pierre du foyer, c'est le bois accumulé pour le sacrifice ; ce n'est pas la flamme. D'où viendra donc à la France, dans les conflits prévus ou possibles, la divine étincelle de foi qui fera