Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/23

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la noble patrie que j'aime et le grand parti que je sers. J'entends faire œuvre pratique, d'un intérêt immédiat et d'un effet prochain. Je suis convaincu que l'œuvre ébauchée à La Haye peut, si nous le voulons, se préciser et s'approfondir. Je suis convaincu que l'institution militaire de la France ne peut s'arrêter longtemps à l'état ambigu et contradictoire créé ou constaté par la loi de deux ans et qu'elle devra sans délai ou rétrograder vers des formes anciennes ou aboutir à un système fortement conçu de milices nationales. Et qu'on ne nous oppose pas dédaigneusement une fin de non-recevoir préalable. Qu'on ne se livre pas au jeu facile et puéril de railler mon inexpérience militaire et mon incompétence technique. Je ne décide pas, je propose. Il me serait d'ailleurs trop aisé de répondre qu'en un pays où c'est le Parlement, lequel n'est pas composé en majorité de techniciens militaires, qui décide de tout, il serait au moins étrange qu'une exception d'incompétence frappât aucun citoyen et discréditât aucune idée. Je pourrais ajouter qu'il m'a été loisible de m'informer et de m'instruire auprès d'officiers d'élite et que je n'y ai point manqué. Mais surtout j'ose dire que ce qui fait le plus défaut maintenant dans le travail de réorganisation militaire qui se poursuit au jour le jour dans notre pays, ce sont les vues d'ensemble ; c'est l'audace et la fermeté des constructions logiques.

Je suis de mon mieux, depuis des années, la vaste littérature militaire qui se développe ; et je sais que dans l'armée abondent les hommes de pensée, de travail, de vive curiosité. Si les officiers étaient libres de tout dire — j'entends toute leur pensée — sur tous les sujets, une critique très active et très utile s'exercerait sur tout le fonctionnement de notre système militaire et en préparerait la transformation. Mais est-ce l'effet d'une crainte paralysante ? Ou bien sont-ils trop près du formidable appareil qu'ils manient pour le juger d'ensemble ? J'ai observé que les plus clairvoyants, les plus hardis, hésitaient devant les conséquences nécessaires des principes